D'autres changements s'effectuent de façon sereine. Ainsi, déjà déchargée depuis 1991 de la tenue de l'état civil, l'Église (luthérienne) de Suède – Église d'État depuis 1527 – a voté, en septembre, à une large majorité, le principe d'une prochaine séparation avec l'État. Le nom même d'Église de Suède devrait être revu pour bien marquer le pluralisme religieux et éliminer toute confusion possible entre « l'Église corps du Christ » et « le corps d'une nation ethniquement définie ».

Laïcisation et mutations de la laïcité

Cette confusion n'est, par contre, pas absente du « conflit des crucifix » qui a éclaté en Bavière à la suite de la décision, le 10 août, de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, jugeant incompatible avec la liberté religieuse la présence de crucifix dans les salles de classe des écoles publiques. Le 21 septembre, la Cour administrative de Bavière a ordonné le retrait du crucifix dans les trois salles de classe où étudient les enfants du couple d'anthroposophes (adeptes de la philosophie de Rudolf Steiner) à l'origine de la procédure. Le 23, une manifestation contre cette mesure a eu lieu à Munich. Elle a rassemblé 25 000 personnes, dont 15 évêques catholiques, un évêque luthérien et des dirigeants politiques du Land de Bavière. Les arguments évoqués ne sont pas d'ordre strictement religieux : « La croix est au centre de notre culture et de notre identité. »

Cette affaire s'inscrit dans un processus de sécularisation en Allemagne, où le nombre de personnes qui paient l'impôt ecclésiastique est en nette diminution et où la situation des nouveaux Länder de l'Est (où 30 % de la population seulement sont membres d'une Église) déteint sur le pays dans son ensemble. Les Églises n'en conservent pas moins une vitalité certaine : ainsi, du 14 au 18 juin, le Kirchentag protestant de Hambourg a réuni plus de 120 000 personnes. Le verset de l'Ancien Testament pris comme thème principal des 2 000 manifestations de ce Kirchentag : « Il t'est dit, Homme, ce qui est bien », s'est avéré correspondre aux préoccupations d'un large public chrétien désireux de réfléchir sur les valeurs d'aujourd'hui.

En France, les crucifix ont progressivement disparu des salles de classe des écoles publiques à la fin du xixe siècle et au début du xxe. Le problème n'est donc plus là. Il se pose maintenant au niveau des droits et des devoirs des élèves, notamment pour les confessions minoritaires. On sait que des « affaires de foulards » existent depuis 1989. Au cours de l'année scolaire 1994-1995, plusieurs jeunes filles musulmanes ont été exclues de certains établissements pour cause de port de foulard. Les jugements des tribunaux administratifs, conformément aux arrêts du Conseil d'État, ont privilégié le cas par cas. Les exclusions ont été confirmées quand il y a eu, selon les magistrats, provocation, prosélytisme ou atteinte à l'ordre public. Par contre, la réintégration des jeunes filles a été ordonnée quand leur comportement n'a pas été jugé « attentatoire à la liberté d'autrui ». Si les opinions continuent de diverger sur ce problème, du moins la rentrée scolaire 1995-1996 s'est-elle effectuée dans le calme.

Un autre problème a été réglé de façon analogue. Le Conseil d'État a rejeté, le 14 avril, deux recours qui tendaient à autoriser l'absence scolaire le samedi pour des élèves juifs. Il a, cependant, admis la possibilité de dérogations, à condition que les absences soient « compatibles avec l'accomplissement des tâches inhérentes aux études » et qu'elles « ne troublent pas l'ordre public dans l'établissement ». Ainsi se précise une laïcité juridique qui se fonde notamment sur l'article X de la Déclaration des droits de 1789 et applique cet article à l'institution scolaire.

Dans un pays où il existe un régime de séparation, une religion doit, idéalement, pouvoir s'organiser en toute indépendance face à l'État. En fait, en ce qui concerne l'islam, les dirigeants politiques français souhaitent trouver des interlocuteurs. Leurs raisons sont compréhensibles, mais force est de constater que, jusqu'à présent, il n'existe pas d'instance représentative bien définie. Le pouvoir socialiste avait mis en place un organe collégial, le CORIF, dont la diversité a limité les possibilités d'action. Depuis 1993, celui-ci a été remplacé par le CCMF (Conseil consultatif des musulmans de France), créé et présidé par le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur. Une charte a été rédigée au début de cette année. Elle indique que les musulmans doivent « assurer la défense de leurs valeurs dans le cadre des lois républicaines » (article 30) et témoigner de « leur attachement à l'État » (article 31). Elle demande aux pouvoirs publics de favoriser le libre exercice du culte musulman en France et tente de transformer le CCMF en Grand Conseil des musulmans, organe représentatif.