Ce sont les sociétés pétrolières américaines qui ont été les premières visées par ces OPA sauvages. Par suite de la baisse du prix du pétrole brut, à partir de 1982-1983, les bénéfices des sociétés pétrolières et, par voie de conséquence, les cours en Bourse de leurs actions, qui reflètent en grande partie des bénéfices réalisés, ont eu tendance à s'amenuiser. Très sûrs de leur fait, comme Boone T. Pickens, devenu célèbre avec ses raids sur Gulf Oil, Phillips Petroleum et Unocal, certains raiders ont vite compris qu'en cherchant à prendre le contrôle de telle ou telle société pétrolière ils pouvaient gagner des sommes considérables, quelle que soit l'issue de l'opération. S'ils parviennent à acquérir la quantité d'actions leur garantissant le contrôle de l'affaire, ils mettent la main sur les réserves d'hydrocarbures de cette société à un prix inférieur aux investissements qu'il faudrait consentir pour découvrir de nouvelles réserves exploitables. Lorsque le capital est très dispersé, l'achat en Bourse de 20 à 30 p. 100 du capital suffit. Au contraire, si les raiders échouent dans leur tentative de contrôle, ils disposent néanmoins d'un paquet d'actions qu'ils peuvent revendre au prix fort à la société attaquée, s'assurant ainsi de très larges prises de bénéfices. En revanche, la négociation entre le raider et les dirigeants de l'entreprise victime va coûter à cette dernière beaucoup d'argent. Bien souvent, elle ne survit qu'au prix d'un endettement élevé. Quant aux petits actionnaires, ils peuvent marquer toute leur satisfaction : les quelques actions qu'ils possèdent ont été rachetées à des cours qu'ils n'auraient jamais espéré aussi élevés. Lors de la prochaine OPA lancée par un raider. ils n'hésiteront pas à céder leurs actions pour encaisser les plus-values qui, dans leur esprit, auraient dû leur revenir normalement en l'absence de toute OPA. Une OPA, qu'elle soit réussie ou ratée, facilite la préparation de la suivante, grâce à l'influence qu'exerce la publicité sur les attitudes et les préférences des actionnaires.

Au cours de ses raids sur les compagnies pétrolières, Boone T. Pickens a été le premier des raiders à avoir pensé à utiliser l'OPA à d'autres fins que pour réaliser des fusions ou des opérations de concentration. Parce que le raider est plus tenté par l'échec que par la réussite de l'OPA comme source de profits appréciables, le principe et l'esprit de l'OPA sont quelque peu dévoyés. Concrètement, le raider ne va pas hésiter à annoncer l'OPA sur la société ciblée à grand renfort de publicité, après avoir procédé en Bourse au ramassage discret et à bas prix d'un paquet d'actions. Il crée ainsi une situation telle que les dirigeants de la société visée vont « s'affoler » et réagir, faisant ainsi monter les enchères en faveur du raider. Le bénéfice que le raider entend retirer de l'opération dépend essentiellement des réactions soit des propriétaires de la société, c'est-à-dire des actionnaires, soit d'autres groupes financiers présents sur le marché boursier et qui n'ont pas intérêt à voir le contrôle de cette société « changer de main ». Si la société visée riposte à l'attaque, par exemple sous la forme d'une contre-OPA, le raider n'aura plus qu'à attendre pour négocier le rachat à un prix plus élevé des actions qu'il s'était procurées auparavant. Paradoxalement, la réussite de l'opération tient au fait que le raider cherche à faire échouer son OPA. Jusqu'à la fin de l'opération, le raider laisse croire qu'il convoite effectivement la proie.

Les autres raiders ne vont pas tarder longtemps à pratiquer ce jeu « à qui perd gagne ». Ainsi, en 1983, une OPA manquée de Jimmy Goldsmith sur le numéro un mondial du papier, St Régis Paper, lui rapporte 50 millions de dollars. En novembre 1985, il réédite l'opération en s'attaquant à Goodyear, le numéro un mondial du pneumatique, dont il possède 11,5 p. 100 du capital. À l'issue d'une bataille véritablement épique, les dirigeants de la firme lui ont racheté les actions qu'il détenait 17,8 p. 100 plus cher qu'il ne les avait lui-même acquises, en échange du retrait de son OPA et de sa promesse qu'il renoncerait à en tenter une autre ultérieurement (green mail). Alors que le gain net s'élevait à 93 millions de dollars pour Jimmy Goldsmith, Goodyear a été contrainte d'abandonner un programme d'investissement relatif à de nouvelles fabrications et ainsi de suspendre la création d'emplois nouveaux qu'elle envisageait.

Le déferlement des OPA

Dès lors, assurés de pouvoir gagner indépendamment de l'issue, les raiders ne vont pas se priver de lancer des OPA sans que l'on sache souvent au départ si elles sont hostiles ou sauvages, car les intentions des prédateurs ne se dévoilent souvent qu'à la clôture de l'OPA. Tout le travail du raider consistera à dénicher et à cibler l'entreprise ou le groupe qui pourra lui rapporter beaucoup, soit en vendant le patrimoine par petits morceaux ou « par appartements », soit en restructurant le groupe pour se débarrasser des activités peu rentables, soit enfin en faisant racheter les actions acquises dans des conditions avantageuses à un prix encore supérieur. À l'avance, on ne peut jamais dire quelle solution sera adoptée, mais il est certain que le raider perd rarement. Ainsi, les OPA ne pouvaient que se multiplier à un rythme effréné.