Dans cette affaire, comme le montrent deux sondages, l'opinion des principaux intéressés était tenue pour négligeable. Le premier, réalisé par BVA pour l'Expansion auprès de salariés du secteur concurrentiel, révèle des réponses sans équivoque. Ce démenti éclatant des appareils par les salariés est complété par un deuxième sondage (IFOP pour l'Usine nouvelle) montrant qu'en janvier 1985, 62 % des dirigeants d'entreprise étaient pour la reprise des négociations et qu'une large majorité tenait à l'accord.

À qui doit-on imputer l'échec de cette première négociation ?

Plusieurs explications sont pertinentes. Il est évident qu'il est difficile aux syndicats de renoncer à des situations acquises, de céder au patronat des avantages nouveaux, sans obtenir en contrepartie des satisfactions substantielles. Or, l'accord projeté portait presque exclusivement sur des éléments qui pouvaient apparaître négatifs pour les syndicats qui le signaient. Comme la CGT s'excluait par définition de toute convention et que les lois Auroux avaient d'un seul coup pratiquement tout donné, on peut comprendre les risques que représentait la signature d'un tel accord par les syndicats modérés. En exploitant à fond, par la loi, dès 1982, la victoire électorale de la gauche, les partis au gouvernement ont manqué de prudence. N'ayant plus de réserves d'avantages à distribuer, ils étaient curieusement conduits à recommander désormais la concertation au patronat et aux syndicats, alors qu'il s'en étaient joyeusement passé dans l'euphorie de 1981.

Après l'échec de la négociation, il était logique que M. Gattaz, par symétrie, invite l'État à prendre ses responsabilités et à intervenir. Pour embaucher, les entreprises ont besoin d'un assouplissement de la législation sociale. Après avoir négocié, le patronat s'attendait à ce que les syndicats s'engagent. À défaut, c'est à l'État de modifier la législation afin de faciliter la création d'emplois. S'il ne le fait pas, il sera responsable devant les chômeurs et les électeurs de la montée du chômage. Tel était en substance le raisonnement du président du CNPF. Le Premier ministre Laurent Fabius avait affirmé trois mois plus tôt qu'il souhaitait que l'on allât « vite et loin » ; en réalité, le débat sur la flexibilité ne faisait que commencer.

La forte montée du chômage devait inciter à innover. En février, plus de 10 % de la population active était désormais atteinte en France par l'inemploi, alors que les formes plus souples de travail demeuraient, dans notre pays, très modestement utilisées. Ainsi, par exemple, le temps partiel ne touchait en France que 7 % de la population active contre 10 % au Japon, 14,4 % aux États-Unis, 15,4 % en Grande-Bretagne et 28,3 % en Norvège. En septembre, c'était l'évolution du chômage dans l'ensemble de l'OCDE qui devait susciter les plus graves inquiétudes. Dans les 24 pays de cette organisation, on s'attend, fin 1986, à 31 millions et demi de chômeurs, et, cette même année, le chômage devrait toucher, en France 31 % des jeunes de moins de 25 ans. L'immobilisme dans ces conditions n'était pas tolérable.

L'Europe était malade du chômage et la France atteinte en profondeur dans sa jeunesse. Le mal n'étant pas près de se réduire, mettre en place les moyens facilitant l'ajustement rapide de l'emploi à l'instabilité de la demande et de la concurrence s'imposait. En effet, si l'ajustement de l'emploi au niveau souhaité par l'entreprise ne peut avoir lieu en raison des contraintes qui pèsent sur elle, les frais salariaux deviennent quasiment des coûts fixes. Le seuil de production en deçà duquel l'entreprise perd de l'argent (le point mort) est trop élevé, et en tout cas plus élevé qu'il ne l'est dans les pays concurrents. La réponse la plus brutale pour atténuer cette contrainte est d'augmenter le degré de précarité de la main-d'œuvre et de diversifier les formes de relation entre employés et entreprises.

Les solutions de substitution

Le travail à temps plein et les contrats à durée indéterminée ont été longtemps le mode dominant de l'organisation et du travail. Cette pratique – entérinée par le droit – était adaptée à une situation héritée du taylorisme et marquée par une forte uniformité de l'emploi. L'incertitude sur le plan de charge des entreprises crée une nouvelle contrainte économique, qui s'est manifestée de manière à la fois forte et indiscutable tout au long de l'année 1985. Les notions de travail différencié, de congés de conversion, de contrats à durée déterminée, de travail temporaire, de cumul d'emploi, de travail intérimaire, d'aménagement du travail ont animé le débat social et politique ainsi que la vie gouvernementale.