Lancés en septembre 1984, les travaux d'utilité collective (TUC) visaient les jeunes demandeurs d'emplois âgés de seize à vingt ans afin de les sortir d'une oisiveté nocive et de leur permettre de réaliser des travaux qui ne faisaient pas l'objet d'une demande solvable. L'objectif de départ était de 100 000. Il fut très vite atteint. Dès février 1985, M. Fabius annonçait un nouvel objectif de 200 000 en envisageant d'étendre le dispositif aux mutuelles, aux organismes de Sécurité sociale et aux comités d'entreprise. Le principe des TUC, inspiré largement par un dispositif existant en Allemagne fédérale depuis la crise des années 1920 sous le sigle ADM, devait, pour réussir, ne pas déraper. Or, en juillet 1985, peut-être parce que le président Mitterrand s'était laissé aller à annoncer un objectif de 300 000 jeunes tucistes, le gouvernement publiait au Journal officiel un décret étendant les TUC aux demandeurs d'emplois de 21 à 25 ans inscrits à l'ANPE depuis plus d'un an. Comme l'avait annoncé le Premier ministre, le décret stipulait que la Sécurité sociale, les sociétés mutualistes et les comités d'entreprise pouvaient employer des tucistes. Le système devenait ainsi un attrape-tout. On prenait le risque de voir la mesure virer à la recette facile et être détournée de son sens, sinon complètement dénaturée. Portés à l'euphorie, les conseillers ministériels s'émerveillaient des qualités du mécanisme mis au point, puisque les jeunes semblent accepter de faire pour 1 200 F par mois et à raison de 20 heures par semaine ce qu'ils ne feraient pas à temps plein et pour 2 400 F ! Le sentiment d'utilité que peuvent éprouver les tucistes, notamment en milieu rural, ne change pas l'observation que le très vif succès de la formule, s'il est incontestable, est dû principalement à la sous-rémunération objective du travail, soit à une certaine forme d'exploitation des jeunes.

Ainsi voit-on s'organiser, sous l'effet de diverses actions parallèles, une société française dans laquelle l'emploi est nettement à deux vitesses. D'un côté, les bénéficiaires des emplois fermes, garantis, à durée indéterminée et à temps plein. De l'autre, un marché instable d'intérimaires, de contrats à durée déterminée, de temps partiels, de TUC, bref, de vulnérables mal protégés. De telles conditions de fonctionnement ne peuvent pas être sans conséquence sur la gestion des rapports sociaux. Les organisations syndicales auront de plus en plus de difficultés à orienter leurs actions vers l'ensemble des salariés. Elles auront aussi de plus en plus de difficultés à recueillir leurs suffrages, ce que traduit la baisse constante des taux de syndicalisation.

Derrière la fumée, les faits

Assimiler la flexibilité à la précarité de l'emploi est une erreur que la base ne commet pas. Loin de l'agitation spectaculaire sur les perrons ministériels ou devant les caméras de la télévision, les acteurs, sur le terrain, tentent de trouver des solutions concrètes aux problèmes. Il est vrai que la gestion des différences est une menace pour le fonctionnement syndical. Toute organisation suppose des habitudes et les syndicats ont les mêmes problèmes de transformation et d'adaptation que les entreprises. Les écarts de situation entraînant des comportements totalement différents, on en vient à se demander si une stratégie syndicale unique peut traiter le problème de la flexibilité. Derrière les objectifs communs, l'application dans chaque branche doit pouvoir varier. Tout accord national doit renvoyer à des négociations de branches et à des négociations d'entreprises. Cela est d'autant plus nécessaire que ces négociations ont d'ores et déjà commencé.

Une enquête publiée par l'INSEE en juillet 1985 sur les horaires et l'aménagement du temps de travail des salariés en France montre de façon évidente combien la flexibilité a gagné du terrain. La durée hebdomadaire du travail a sensiblement diminué, les horaires non fixes sont plus fréquents ; on commence à travailler plus tard et, en moyenne, on finit plus tôt ; le contrôle des horaires s'est fait moins contraignant et même le travail de nuit accuse une légère baisse.