Ces nouveaux modèles d'organisation constituent une forme plus diversifiée, plus souple et plus individualisée du travail. En dépit des freins imposés par le législateur, tout concourt à l'accélération de ce phénomène. Il répond aux aspirations de nombreux salariés. Il est aussi une bonne solution pour les entreprises puisqu'il permet de mieux motiver le personnel, de donner à la gestion une souplesse qui est une réponse efficace aux contraintes du marché. La cause paraît ainsi entendue : les avantages du travail différencié sont tels que les querelles à son sujet semblent théologiques. Le seul vrai problème est de fixer la méthode à suivre pour lever les obstacles. Changer l'emploi est possible et correspond à un besoin réel. Il faut bien qu'un jour le droit en tienne compte.

Après une décennie de crise, la pénurie des emplois a conduit les acteurs sociaux à évoluer dans leur conception. Quand le travail devient une denrée rare, il est justifié de l'organiser en remettant en cause certaines routines passées. Paradoxalement, les efforts déployés au cours de l'année 1985 ont visé à assouplir les dispositions édictées en 1982, époque où la crise était niée par le gouvernement de l'époque. Au vu de leur bilan, l'aménagement des ordonnances Auroux s'est imposé. Si elles avaient été imaginées pour assurer une meilleure protection du personnel temporaire, leur objectif était aussi de favoriser l'emploi permanent, but qui n'a pas été atteint. Les contrats à durée déterminée ont effectivement chuté en deux ans, mais ce n'est pas pour autant que la situation du chômage s'est améliorée. Conscient qu'un excès de rigidité peut se retourner contre ceux qu'on souhaite protéger, le gouvernement, n'ayant pas prévu que l'accord sur la flexibilité élaboré par les partenaires sociaux serait désavoué ensuite par les syndicats, a tenté d'introduire une certaine souplesse.

Cette démarche a été guidée par l'observation des pratiques étrangères. La législation sur le temps partiel est quasiment inexistante aux États-Unis : les conditions d'un emploi de ce type se déterminent par négociation directe entre patrons et syndicats, au cas par cas, et la plupart du temps au niveau de l'entreprise. De même, en Allemagne fédérale, jusqu'à un certain niveau, les salaires ne donnent pas lieu au paiement des cotisations s'ils correspondent à une durée de travail inférieure à 15 heures hebdomadaires. Michel Albert ayant affirmé que, si la France possédait le même nombre de travailleurs à temps partiel que l'Allemagne fédérale, elle aurait un million de chômeurs de moins et que, si elle s'identifiait au modèle américain, elle n'aurait plus de chômeurs du tout (?), l'invitation à développer cette forme d'emploi ne pouvait être que vive.

Les chefs d'entreprise, toutefois, ne peuvent consentir à développer des emplois à temps partiel que s'ils ne pèsent pas plus lourd, sur le plan financier comme sur le plan social, que leur équivalent en emplois à temps plein. Une équivalence nécessitant trois réformes : l'ajustement des charges sociales patronales, qui, par le jeu du plafond, rendent plus coûteux deux mi-temps qu'un temps plein ; la révision des seuils sociaux (puisque sont considérés comme des salariés à temps plein ceux qui effectuent seulement 20 heures par semaine ou 85 heures par mois) ; enfin, la prise en considération de l'alourdissement des coûts fixes (10 % environ de la rémunération du salarié à temps partiel) quand deux salariés sont présents dans l'entreprise au lieu d'un seul.

Après le rejet de l'accord sur la flexibilité de l'emploi, les partenaires sociaux ont été fermement invités par le ministre du Travail, M. Michel Delebarre, à discuter de son projet d'extension des congés de conversion, dénommés, pendant toute une période, contrats de formation-reclassement (CFR). Cette proposition visait à étendre les congés de conversion des mines, de la sidérurgie et de l'automobile à l'ensemble des licenciés économiques et, par là même, à organiser la formation des salariés touchés par les restructurations industrielles. Les partenaires sociaux n'ont fait à cette proposition qu'un accueil modérément favorable. Un sondage, publié par Affaires sociales, révélait en mars 1985 qu'à peine 14 % des salariés déclaraient préférer la formule des CFR si leur entreprise envisageait des licenciements. Par contre, 18 % choisissaient de démissionner avec une indemnité de 50 000 F, 13 % de passer à mi-temps avec un demi-salaire et enfin 38 % des salariés acceptaient une baisse de 10 % de leur rémunération pour sauvegarder l'emploi. Malgré le désir d'aboutir du gouvernement, la négociation s'enlisa. Le patronat trouvait intéressant le dispositif dans la mesure où les personnes se préparant à un nouvel emploi n'étaient pas considérées juridiquement comme licenciées. C'est seulement au terme d'un an (s'ils ne réussissaient pas à se reclasser dans une autre entreprise) que leur licenciement devenait effectif, ouvrant alors les droits aux indemnités-chômage. Bien qu'intéressés par la formule, les chefs d'entreprise n'ont pas voulu entériner le projet gouvernemental, sans obtenir de contreparties sur la flexibilité de l'emploi, qui était la finalité essentielle de la négociation avortée. En juin, la rupture des discussions patronat-syndicats sur les congés de conversion – le terme de CFR étant désormais abandonné – marquait l'échec de cette démarche. Il revenait alors au gouvernement de passer pardessus la politique contractuelle. En juillet, un projet de loi sur les congés-conversion était déposé. Il marquait un renoncement : celui de voir syndicats et patronat s'entendre et trouver une formule leur permettant de faire bénéficier tous les licenciés économiques de la disposition. Le CNPF souhaitait à tout prix obtenir la suppression de l'autorisation administrative de licenciement en cas de congé-conversion, ce qu'aucun syndicat ne pouvait accepter. De son côté, le gouvernement désirait aboutir, ne serait-ce que pour des raisons d'ordre statistique : les licenciés en congé-conversion ne sont pas comptabilisés dans les chiffres du chômage. La loi laissait aux branches et aux entreprises le soin de déterminer les détails. La durée des congés ne pouvait être inférieure à six mois, les intéressés percevant une rémunération de l'ordre de 60 à 70 % de leurs salaires bruts antérieurs, financée à la fois par les entreprises et par l'État (de l'ordre d'un milliard et demi de francs par an pour 30 000 personnes en congé-conversion). Fin juillet 1985, les députés socialistes seuls adoptaient la version définitive du projet de loi sur les congés de conversion.