C'est bardé de ces fortes et simples certitudes que, en seize mois de présence rue de Grenelle, il concrétise sa nouvelle religion républicaine.

Révision générale

Elle sera célébrée selon une nouvelle Trinité : programmes rénovés, enseignants réhabilités, patriotisme rétabli. Le premier objectif de l'équipe Chevènement est de redéfinir une grille de programmes qui fasse place à l'idée ambitieuse d'une école de qualité. Démarche logique, c'est l'enseignement primaire qui bénéficie le premier du vent de réforme. L'objectif est aussi politique : c'est à l'école élémentaire qu'il y a le plus d'élèves (plus de 11 millions) et donc le plus de parents et d'électeurs. Mais c'est aussi là que les faiblesses du système éducatif français se révèlent et prennent un caractère durable. En particulier dans l'apprentissage de la lecture, du calcul et de l'orthographe. Trois savoirs fondamentaux sur lesquels Jean-Pierre Chevènement, encore marqué par son enfance de « fils d'instit », insiste d'entrée. « Savoir lire, écrire et compter est toujours d'actualité, de même que connaître dans ses rudiments l'histoire, la géographie et les lois de son pays... Aussi, plus que tout, seront encouragées la lecture et la maîtrise de l'expression écrite, fondements de la pensée logique et du raisonnement construit », affirme-t-il dans Apprendre pour apprendre (le Livre de poche), le bréviaire de ses discours ministériels. Et de citer Jean Jaurès en s'adressant aux instituteurs. « Il faut que vous appreniez aux enfants à lire avec une facilité absolue, de telle sorte qu'ils ne puissent plus l'oublier de la vie. Savoir lire vraiment, sans hésitation, comme nous lisons vous et moi, c'est la clef de tout ». Qui contredira une telle évidence ? À l'heure où des enquêtes révèlent qu'environ 20 % des enfants venus du cycle élémentaire ne savent pas lire correctement, réaffirmer les objectifs que l'Instruction publique s'était fixé au début du siècle redevient une ambition et un objectif.

L'élitisme républicain consiste désormais à donner de nouvelles formes d'instruction. « Lire, c'est comprendre. Le maître n'engage donc pas l'enfant dans un apprentissage mécanique et passif. La maîtrise de la combinatoire (c'est-à-dire du lien des lettres et des syllabes entre elles, et du rapport des signes écrits aux sons qui leur correspondent) est nécessaire... » Les procédés pédagogiques sont laissés au libre choix des instituteurs, mais la méthode syllabique (méthode classique et ancienne) est sans nul doute bien vue. On veille aussi à ce que les exercices de lecture soient assortis de textes d'auteurs. Des postes supplémentaires de bibliothécaires sont prévus, les parents sont invités à donner leurs vieux livres et une Journée de la lecture est même organisée au mois de mai dans chaque établissement. De quoi, en plus, contrebalancer l'influence de l'image, « cette fausse évidence ruineuse pour l'éducation » selon Jean-Pierre Chevènement est annoncé. En français, Victor Hugo et Chateaubriand reprennent leurs droits. En langues vivantes, l'anglais par Dickens ou l'allemand par Thomas Mann tempèrent les méthodes modernes d'apprentissage sans les supprimer.

Dans le mouvement, la refonte de l'ensemble des enseignements est lancée. En quelques mois, les « Programmes et instructions » de l'école élémentaire, solide masse de granit, vont voir le jour. À l'origine, plusieurs documents de quelque cinq cents pages au total fixaient à la fois les buts et les moyens de l'instruction primaire. Véritable dédale de textes, circulaires et addenda successifs dans lequel tant l'instituteur que le parent d'élève avaient bien du mal à se retrouver. Désormais, l'ensemble des programmes est réuni dans un recueil de cent vingt-cinq pages, de lecture facile et aisément accessible. Édité au Livre de poche, il répond à un souci publicitaire évident. Mais il reste qu'une telle initiative est une première à l'Éducation nationale.

Que peut-on y lire ? Des choses simples. Sept matières essentielles sont définies : français, mathématiques, sciences et technologies, histoire et géographie, éducation artistique, éducation physique et sportive, et – retour historique – éducation civique. C'est là un profond changement. La matière était tombée dans les oubliettes. En 1975, René Haby, ministre de l'Éducation nationale, déclare sans sourciller : « L'éducation civique et morale ne fera pas l'objet d'un horaire et d'un enseignement spécifiques. » Quelques années plus tard, Christian Beullac demande tout de même qu'elle soit « une préoccupation permanente de tous les éducateurs, quelle que soit la discipline qu'ils enseignent ». Au professeur de français, donc, de choisir des textes faisant ressortir une morale ; au professeur de gymnastique de favoriser l'esprit d'équipe ; à celui d'histoire d'informer sur les institutions de la démocratie. Ici, une classe visite un dispensaire ; là, une mairie. Ailleurs, rien. La demi-douzaine de manuels existants (dont un signé de Pierre Joxe, ministre de l'Intérieur) vieillissent, s'usent et ne sont pas remplacés.

Une morale civique

Avec Chevènement, cette relégation incompréhensible est terminée. À la suite d'un colloque, Être citoyen, organisé par le médiateur Robert Fabre, le ministre de l'Éducation annonce le rétablissement de l'instruction civique. À raison d'une heure de cours hebdomadaire dans le primaire, dès cette année, puis une heure dans les collèges à la rentrée prochaine, les écoliers de France redécouvrent les très riches heures de la République, ses institutions et ses vertus. Avec tout de même un ton IIIe République assez prononcé. On lit ainsi dans les programmes : « Éminemment morale, l'éducation civique développe l'honnêteté, le courage, le refus des racismes, l'amour de la République. » Le message ne se limite donc pas à la connaissance des institutions de l'État (la Constitution, les corps constitués, la vie sociale et la démocratie). Il inclut une dimension sermonneuse laïque ainsi qu'un contenu patriotique totalement osé pour qui se souvient de mai 68 et de ses prétentions anathématisantes pour toute expression du sentiment national. Autres temps, autres mœurs : la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité » est par décret ministériel rétablie au fronton des écoles publiques.