Tout ne se fait pas sans problèmes. Les manuels, par exemple. Les éditeurs scolaires ont été pris de court ou mal informés. Ils regrettent de n'avoir pas été associés aux réformes, et certains d'entre eux ont subi un préjudice financier.

Autre obstacle : les horaires. Au collège, l'éducation civique se fera aux dépens de l'histoire et du français, une demi-heure de cours sera retirée à chacune de ces matières. Le boulet Chevènement fait des dégâts sur sa trajectoire. Mais la dynamique continue.

Dans la foulée, les « disciplines d'éveil » disparaissent des écoles primaires. Satisfaction à droite, grognements à gauche (notamment à la Fédération des syndicats généraux de l'éducation nationale et de la recherche publique, SGEN-CFDT). Mais les propos du ministre sont clairs : « Dans une histoire de l'éducation que je lisais récemment, je voyais une photo qui montrait deux enfants d'aujourd'hui s'acheminant vers l'école dans la brume du matin. La légende – ça m'a un peu amusé – disait : “Les enfants vont à l'école, leur apportera-t-elle réussite et promotion ? Ce n'est pas sûr, mais ce serait sans doute moins grave s'ils s'y sentaient heureux.” Je crains de ne pas être d'accord... » Exit donc le rôle d'« éducateur social » que l'instituteur entendait jouer, via les activités dites d'éveil (visites diverses, ateliers artistiques anarchiques, imaginations incontrôlées, etc.) qui, parfois, dévoraient le temps normalement imparti à l'apprentissage de la lecture ou de l'orthographe. Et Chevènement d'ajouter : « J'appelle gluance une situation de l'époque (et de la famille) où le jeune ne peut plus s'appuyer sur un terrain solide (ou sur une résistance quelconque) pour s'affirmer et prendre son essor. » Au lycée, dans un désir de rééquilibrer l'articulation des enseignements, la réforme des programmes, « troisième étage de la fusée éducative », définit un emploi du temps « revu et corrigé ». « Le poids des mathématiques est excessif dans la sélection des élèves, reconnaît le ministre de l'Éducation. Les bons élèves, travailleurs et ambitieux, font des mathématiques parce que c'est la voie royale. Après quoi, ayant suivi avec succès une terminale C, ils font tout autre chose que des mathématiques : ils entrent en classe préparatoire littéraire, font médecine, se préparent à des études commerciales HEC et les IUT par exemple sélectionnent sur la base du baccalauréat C, ce qui n'est pas normal. » Formidable détournement de fonction, qui pèse sur la conscience de milliers de parents d'élèves. Chevènement, fidèle aux humanités qui faisaient jadis la fierté du lycée français, part en guerre contre la tyrannie mathématicienne. D'abord, en allégeant les horaires (moins une heure en terminale C), ensuite en diversifiant les sections. Ainsi, un bachelier B (série économique) peut prétendre préparer HEC sans passer sous les fourches caudines de la section C. Une section B2 (sorte de « super B ») est créée dans ce but. De même une section C2 (allégée en mathématiques et renforcée en sciences naturelles) devrait permettre aux élèves moyens en mathématiques d'envisager des études de médecine. Quant aux sections littéraires (série A), elles obtiennent un soutien accru en langues vivantes et en français, manière de les revaloriser.

L'ajustement est enfin réalisé entre des « matheux » bêtes à concours et des littéraires privés de débouchés. La réaction des principales organisations de parents d'élèves ne laisse guère de doute quant au soulagement général que provoque une telle remise en ordre.

L'émulation reine

Autre virage spectaculaire. En 1983, Alain Savary décidait de supprimer les mentions au baccalauréat, considérées comme la survivance d'un élitisme réactionnaire et bourgeois. La mesure avait suscité la colère du président de la République lui-même, de sorte qu'on y avait renoncé. Sûr de lui, Jean-Pierre Chevènement réaffirme le bien-fondé des mentions et étend même leur avantage aux baccalauréats techniques, qui en étaient jusqu'alors dépourvus. À la fin de la troisième, même philosophie. En 1980, on supprimait le BEPC (Brevet d'études du premier cycle) pour le remplacer par un brevet des collèges ; le premier étant un examen de fin d'année, un simple titre attribué au vu des notes obtenues au cours de l'année. Malgré les chiffres (81 % des élèves de troisième réussissaient le BEPC alors que 71,2 % empochaient le brevet des collèges), ce dernier diplôme était dévalorisé, censé être distribué gratuitement et automatiquement. Qu'à cela ne tienne : Chevènement le supprime et rend obligatoire, dès 1986, un « brevet des collèges » nouvelle formule. Sept épreuves à coefficients variables sont au programme : français, maths, histoire et géographie, langue vivante, sciences physiques, sciences naturelles et éducation physique et sportive. La principale originalité tient dans l'épreuve de français. Elle comporte une dictée (exercice jusque-là largement abandonné au collège) et une série d'applications pratiques (test de grammaire, de vocabulaire et de compréhension littéraire). En histoire et géographie, épreuves écrites, la chronologie (« bête noire » des années 70), fait un retour remarqué. Il est désormais recommandé d'enseigner ces matières selon la méthode « classique » en faisant un effort particulier sur les dates et les événements précis. « Marignan 1515 », symbole d'un savoir honni, tiendra enfin autant de place dans les sujets proposés, que « la pensée ouvrière au xixe siècle » ou « la condition féminine en 1900 ». « Votre tâche essentielle, rappelle Chevènement aux enseignants, c'est la transmission des savoirs. »