Clivages de clans et clivages régionaux se recouvrent. Accusé d'avoir laissé se développer les émeutes, pour mettre en cause le Premier ministre, à qui il aurait suggéré de se retirer, le ministre de l'Intérieur, Driss Guiga, un proche de la présidente, est immédiatement révoqué par le président, ainsi que ses principaux collaborateurs, et destitué un mois plus tard du Bureau politique du Parti socialiste destourien. Le président dissout aussi la préfecture de police de Tunis. Driss Guiga, autorisé à se rendre à l'étranger, est ensuite jugé par contumace pour haute trahison par la Haute Cour de justice, qui le condamne à dix ans de travaux forcés.

Équilibres et contrepoids

Par ailleurs, le président Bourguiba décide de reprendre en main le Parti socialiste destourien, étrangement absent lors des événements de janvier, en nommant à sa tête un nouveau directeur (qui a rang de ministre), Hedi Baccouche, qui avait déjà été chargé de « démocratiser » le parti après la révolte syndicale de janvier 1978, avant d'être désavoué.

La victoire du Premier ministre n'est toutefois pas complète, puisque le président fait revenir au gouvernement, en août, Mohamed Sayah, confident de longue date du président qui l'a chargé d'écrire l'histoire du mouvement de libération nationale et du bourguibisme.

Soutenue par le gouvernement soucieux de ne pas être taxé de faiblesse par une bourgeoisie inquiète, la justice tunisienne prononce, contre plusieurs centaines d'émeutiers de janvier, des peines de prison ou de travaux forcés parfois extrêmement lourdes, ainsi que dix peines de mort.

Devant l'émotion soulevée par ce verdict en Tunisie et dans le monde, le président, qui a, quelques mois plus tôt, refusé sa grâce à deux fonctionnaires fusillés pour espionnage (un message à la Libye), l'accorde aux jeunes condamnés. Cette mesure de clémence permet de détendre le climat politique.

La démocratisation se poursuit tant bien que mal, même si les journaux et revues connaissent encore épisodiquement saisies et suspensions de parution. Un geste important dans ce sens est la grâce présidentielle accordée, le 1er août, à 17 dirigeants du Mouvement de la tendance islamique, condamnés en octobre 1981 à des peines de 4 à 11 ans de prison pour appartenance à organisation non reconnue. C'est peut-être le premier pas vers l'intégration dans la vie politique de l'important courant islamique, très actif notamment dans les villes et à l'Université.

Scission syndicale

Reste que la Tunisie doit faire face à de nombreux problèmes immédiats. Bien que moins élevée que chez ses voisins, la croissance démographique reste forte (26 ‰ par an) ; la moitié de la population a moins de 20 ans. De nombreux jeunes — la classe d'âge 15-25 ans compte 1 700 000 personnes — sont à la recherche d'un emploi. C'est parmi eux que le mouvement islamique rencontre des succès.

Autre défi : celui que pose l'aggravation de la situation sociale, dans un pays de forte tradition syndicale, qui a développé au fil des ans une pratique régulière de la négociation sociale. Un certain nombre de grèves sont déclenchées en février à travers le pays, tandis que la puissante Union générale des travailleurs tunisiens — dirigée par le vieux militant destourien Habib Achour, réhabilité après avoir été emprisonné lors des événements de 1978 — voit certains de ses dirigeants, exclus en novembre 1983, fonder l'Union nationale des travailleurs tunisiens. La création d'une deuxième centrale syndicale ne peut que compliquer la tâche du gouvernement.

Visées libyennes

Depuis l'arrivée au pouvoir du président Chadli Bendjedid, l'Algérie a développé avec la Tunisie une coopération politique intense, qui se traduit en mars 1983 par la signature d'un traité de fraternité et de concorde, auquel se joint la Mauritanie.

Mais Alger refuse l'adhésion de la Libye. Celle-ci, depuis l'accord mort-né de fusion tuniso-libyen signé à Djerba en janvier 1974, n'a pas renoncé à épouser sa voisine et fait alternativement souffler sur Tunis le chaud et le froid, appuyée sur un lobby tunisien prolibyen. Le gouvernement M'Zali, très engagé dans la coopération avec Alger, tente, par un certain nombre d'initiatives, de normaliser les relations avec Tripoli, après que des gendarmes tunisiens ont été enlevés en Libye le 8 mai, lors du coup d'État manqué contre M. Kadhafi.