Une caractéristique : la jeunesse se méfie aujourd'hui des discours généralisateurs et abstraits. Comme l'observe le sociologue Jean Duvignaud, les jeunes « sont capables de solidarités émotionnelles intenses, mais sont totalement fermés aux mots d'ordre trop généraux ». Si l'esprit de contestation de la société globale a reculé, cela ne veut pas dire forcément que la jeunesse est devenue conformiste. L'abandon de la contre-culture ne signifie pas pour autant le retour à une culture traditionnelle. D'abord parce que la contre-culture s'est imposée partiellement dans les mœurs. Mais aussi parce que les données du choix ont changé.

Les formes de communication se sont modifiées. Elles se sont multipliées (vidéo, radios locales, cassettes, magnétoscope) et en quelque sorte individualisées. On peut de plus en plus choisir son programme à la carte et le « produire », soit, simplement, en sélectionnant avec attention les messages proposés (magnétoscopes), soit en participant de façon plus ou moins active à l'élaboration du message (participation à des radios libres, films vidéo).

L'image, l'apparence sont devenues des éléments capitaux de la communication, au même titre que la parole et l'écrit. La culture des jeunes aujourd'hui est largement une culture d'images : le message est autant signifié dans son style d'expression que dans son contenu. Ainsi, la bande dessinée — qui occupe en France une place tout à fait privilégiée — influence au moins autant que le roman ou l'essai d'hier. La musique, le rock, a d'autant plus d'impact qu'elle s'accompagne d'un style vestimentaire, d'un « look » adopté par les musiciens. Comme au temps des Beatles et des Rolling Stones, les « kids » regardent les groupes autant qu'ils les écoutent. Les musiciens, notamment anglais, soignent beaucoup plus leur apparence que leurs homologues américains. Cela frappe davantage le public. De même, un nouveau mode de production artistique s'est imposé depuis peu : la vidéo-clip — c'est-à-dire le petit film d'inspiration généralement onirique, et utilisant toutes les possibilités de la technique vidéo, qui marque la sortie d'un nouveau disque.

Une telle abondance de messages audiovisuels peut écraser l'individu. Elle peut aussi l'influencer, le stimuler, lui communiquer l'envie du passage à l'acte. L'éclosion récente des radios libres en est un exemple. On a beaucoup critiqué l'amateurisme de ces radios. Mais là n'est sans doute pas l'essentiel. L'intérêt des radios libres a été de libérer l'expression locale, minoritaire, voire individuelle. Il est impensable à tout un chacun de devenir un Guy Lux ou une Christine Ockrent ; il est loisible à tous de participer à une émission de radio libre ou, à terme, de télévision par câble.

Cette ouverture de possibilités ne restera pas sans conséquence, d'autant plus que la technique offre bien d'autres occasions : le micro-ordinateur — dont on observe que les plus jeunes s'en emparent avec une facilité souvent déconcertante — permet à un grand nombre de composer des programmes originaux ; le synthétiseur (à condition, bien sûr, de pouvoir l'utiliser) autorise le non-musicien à produire des sons, à traduire sa sensibilité en sons et en rythmes, bref, à créer.

Ainsi, une société où sévit le chômage et où en même temps se multiplient les techniques de communication peut stimuler les initiatives et la créativité. Dans ces conditions, la notion de loisir change de sens. Elle n'est plus seulement une temporalité de la vacance et de la consommation. Elle devient le complément — voire la continuation sous d'autres formes — de l'activité. C'est d'ailleurs une analyse qui peut être faite à propos de la jeunesse actuelle, en tout cas à propos de ses éléments les plus dynamiques. Les jeunes qui créent d'une façon ou d'une autre ont souvent l'ambition de professionnaliser leur création. Et c'est là qu'on retrouve la notion d'entreprise que l'on développait plus haut : l'entreprise n'est plus uniquement conçue comme un projet inaccessible appartenant au marché et au monde adulte. Elle devient (généralement sous une forme associative) une concrétisation d'un projet de communication, la communication étant alors entendue comme la rencontre — avec une fonction pécuniaire, le cas échéant — entre un projet (artistique, médiatique, économique) et un public.