Tendances

Nouveaux comportements

On vit une époque formidable ! Le dessinateur Reiser, qui vient de mourir à quarante-deux ans, donnait ce titre paradoxal et ironique à l'un de ses albums, il y a une dizaine d'années. Le slogan reste toujours d'actualité. Entre le repli sur des valeurs sûres et la volonté d'agir et d'innover en fonction de possibilités limitées, les Français se partagent. De nouveaux comportements apparaissent et, face aux mutations économiques et techniques, les mentalités des individus et les réactions des groupes sociaux évoluent chaque année.

La crise, le chômage provoquent bien évidemment des conduites régressives. En 1983, de nouveau, on constate une augmentation de la consommation des tranquillisants, une croissance des symptômes d'angoisse, un taux plus élevé de la petite criminalité, une recrudescence du racisme.

Ce fait, par contrecoup, entraîne un retour vers les repères traditionnels que sont la famille, la maison, le voisinage. Paradoxalement, l'arrivée de la gauche contribue à asseoir ce retour relatif à la tradition.

En marquant, dans le cadre normal des institutions, la réalité de l'alternance, la gauche au pouvoir bouleverse un certain nombre de croyances, désacralise des convictions, déculpabilise des choix qui jusqu'alors pouvaient apparaître comme conservateurs. Ainsi, un sondage récent montre que l'armée a une image plus positive que jamais dans l'opinion et notamment chez les jeunes.

La formule « Travail, famille, patrie » (à condition, bien entendu, d'y apporter les correctifs qui s'imposent) s'adapte finalement très bien à une France rose.

Contradictions dans l'interprétation

Recentrage donc, mais aussi réalisme positif. Entre le repli sur des valeurs sûres et la volonté d'agir et d'innover en fonction des possibilités que l'on sait limitées, les Français se partagent. De nouveaux comportements apparaissent et, face aux mutations économiques et techniques, les mentalités des individus et les réactions des groupes sociaux évoluent chaque année. Les Français ne croient plus, en tout cas beaucoup moins, au modèle aventurier, celui du jeune cadre des années d'expansion, confiant dans l'avenir et les innovations. Cependant, faute de pouvoir se contenter d'un repli frileux dans son cocon, en rejetant toutes les utopies d'hier, on tente, pour parler simple, de faire avec ce qu'on a. Cette forme d'esprit, cette volonté nouvelle accepte la société telle qu'elle est, mais essaie d'agir sur elle dans la mesure des possibilités. Mais ces nouveaux comportements, ces nouvelles volontés qui mettent l'accent sur l'effort individuel, la créativité personnelle, font l'objet d'interprétations très contradictoires.

D'un côté, on veut voir dans ce phénomène la fin de l'État-providence, qui garantit à tous un revenu et des allocations automatiques qui auraient pour inconvénient de stériliser les initiatives et de peser d'un poids insupportable sur l'économie.

C'est le discours néoconservateur d'un essayiste français, Guy Sorman. Dans La révolution conservatrice américaine (Fayard, 1983), il souligne la réaction aux mouvements culturels des années 60 et 70 (féminisme, libération sexuelle, revendication des minorités, etc.), l'opposition à l'intervention de l'État et la croyance dans l'entreprise.

À gauche et au centre de l'échiquier politico-intellectuel, si l'on ne veut pas remettre en cause l'État-providence en tant que tel, on tente — tels Alain Mine et, dans une certaine mesure, Pierre Rosanvallon ou d'autres analystes proches de la CFDT — d'imaginer un équilibre dynamique entre l'État, le marché et la société civile, c'est-à-dire les individus, les associations, le secteur non lucratif.

Dans les deux cas, l'initiative individuelle et la créativité étant privilégiées, tout se passe comme si, hier, on pensait que l'expansion collective tirait en avant l'individu, et comme si, aujourd'hui, on était convaincu que l'individu — et singulièrement l'individu entreprenant — vient au secours d'une société en crise.

Hédonisme et famille

Au plus fort de la vogue de l'aérobic, le cas de Jane Fonda est tout à fait exemplaire. Militante passionnée des années 60 et 70, en lutte contre la guerre au Viêt-nam, favorable au féminisme, à la défense des Indiens et des autres minorités, Fonda s'est reconvertie aujourd'hui en militante de la forme et des formes. Ce n'est ni un hasard ni une déviation.