Les observations ont été accumulées depuis cette date, par ces pionniers et leurs disciples. Les accouchements spontanés sont plus nombreux vers 4 heures du matin, et les provoqués vers 13 h 30. Néanmoins, dans les deux cas, les douleurs de l'enfantement sont ressenties autour de 1 heure du matin. Les malades cardiaques, de leur côté, sont surtout menacés par les accidents vasculaires en janvier et en février. C'est en juin que les suicides connaissent leur pic de fréquence. Et les scarlatines affluent en avril et mai.

Variations

Chez l'être humain, les performances du système nerveux sont les meilleures au milieu du jour. La vigilance, la mémoire, la coordination motrice, les fonctions vasculaires, la force musculaire elle-même atteignent alors leur zénith. Puis ces facultés baissent graduellement. Ce qui donne à penser que notre vie de tous les jours devrait mieux s'accorder à ces grands cycles. N'est-ce pas contre-indiqué de charger les programmes scolaires le matin par exemple ? Ou de contraindre les enfants à apprendre leurs leçons le soir ?

D'autres variations biologiques ne se manifestent pleinement que la nuit. Ainsi, l'efficacité des lymphocytes, les cellules blanches du sang qui participent à la défense de l'organisme, se révèle plus forte vers minuit. C'est le soir également que l'organisme vit une intense activité hormonale. La prolactine, substance cérébrale qui excite la sécrétion lactée, entre autres, est libérée la nuit, ce qui explique qu'au matin les femmes allaitant ont les seins aussi gonflés. La somatormone, hormone de croissance, sécrétée au niveau du cerveau, est également stimulée la nuit. Ce qui justifie l'importance du sommeil chez les jeunes enfants : ils grandissent en dormant. L'expérience a été effectuée par les émules de Franz Halberg, aux États-Unis, chez des Porto-Ricains d'une même fratrie. Ceux qui vivaient entassés dans les taudis sont restés chétifs. Les autres, qui reposaient confortablement dans des chambres d'observation, se sont développés normalement.

Cobaye

Tous les orages hormonaux qui témoignent de l'impressionnante vie occulte de notre corps ont été vérifiés sur le spéléologue français Michel Siffre par les savants américains. Siffre, en 1972, a vécu six mois dans le gouffre Del Rio, au Texas, près de la frontière mexicaine. Il est devenu le champion des cobayes dans ce trou américain. Température corporelle enregistrée en continu ; comme le rythme cardiaque, comme les impulsions du cerveau. Son sommeil a été décortiqué et son potentiel sexuel sondé ; ses urines, ses selles ont été analysées. Les endocrinologistes sont allés jusqu'à peser et examiner les poils de sa barbe. Grâce à Siffre, on sait aujourd'hui que tous les rythmes biologiques sont vraiment endogènes, c'est-à-dire produits dans l'organisme et par l'organisme. Et que celui-ci souffre, lorsqu'on perturbe ces rythmes sans transition.

Le Dr Reinberg a établi que nous n'avons pas tous la même sensibilité à ces variations biologiques. À la façon de notre système immunitaire, notre carte d'identité génétique qui signe nos particularités, nous possédons nos propres rythmes. Qui ne cousinent pas forcément avec ceux des autres. Ainsi, l'organisme de tous les ouvriers de la nuit n'est pas systématiquement rebelle au travail nocturne ou posté. Certains s'en accommodent fort bien ! Il y a des gens du matin et des gens du soir, insiste Alain Reinberg, comme existent des blonds et des bruns, des dominants et des dominés. Les plier sans discrimination à une vie commune, comme le font les sociétés, est malheureusement une épreuve aussi douloureuse que de forcer des pieds larges dans des chaussures étroites.

C'est une vraie révolution qui est née de cette patiente traque dans nos tréfonds. Car l'observation de nos horloges biologiques devrait logiquement déboucher sur des applications pratiques. Nous accédons à l'époque de l'émergence du temps dans la thérapeutique.

Savoir que la vitesse de sédimentation du sang est maximale à 16 heures, ou bien que la pression artérielle atteint son pic juste avant la nuit, devrait bouleverser bientôt l'art du diagnostic. Tous les résultats biologiques varient selon l'heure des prélèvements. Ainsi, les stéroïdes, des hormones essentielles qui seraient formées à partir du cholestérol, atteignent leur summum de productivité quotidienne à 15 heures, de même qu'un pic périodique annuel, qui se manifeste à la mi-mars. Or ces stéroïdes jouent un rôle fondamental dans les mécanismes de la reproduction...

Chronothérapie

Déjà sont lancées les prémices de la chronothérapie, sœur jumelle de la chronobiologie (Journal de l'année 1975-76). Les recherches de ces quinze dernières années montrent la sensibilité de l'être humain aux médicaments, selon l'heure à laquelle ils sont administrés. L'effet abortif des prostaglandines est au plus fort vers 18 heures. Le lithium allonge les rythmes circadiens. Les corticostéroïdes, donnés le soir, retardent de 6 à 12 heures les pics de la force musculaire, freinent d'autant la dilatation maximale du calibre des bronches ou bien l'excrétion urinaire du potassium. On voit se profiler de nouveaux traitements pour l'asthme et les maladies vasculaires. Même pour certains cancers. Des études sur la multiplication des cellules montrent qu'elle est plus forte à certaines heures. C'est à ces heures-là que doivent être données les drogues bloquant la multiplication. Chez des souris cancéreuses, des essais ont assuré des survies allongées de neuf mois. Ce qui paraît tout à fait énorme en comparaison de la longévité naturelle de ces petits rongeurs.