C'est bien un autre monde qui s'impose. Aux princes et aux marchands du bronze succèdent des petits chefs, gens de l'épée, de la lance et du cheval, maîtres de troupeaux. Personnages plus rudes aussi : il y a un peu plus que des indices pour suggérer que ce progrès technique a pu s'accompagner d'une sensible montée de la violence.

Des feux vieux de 1 400 000 ans

Des traces de feux, peut-être liées à des activités humaines, ont été trouvées au Kenya. Ces témoignages reculeraient de près de 1 million d'années l'utilisation du feu par les hommes.

Il s'agit de petits fragments de sol argileux qui ont manifestement subi une sorte de cuisson. Au nombre d'une quarantaine, ils étaient dispersés parmi les ossements d'animaux et l'outillage de l'un des sites de Chesowanja. Ils ressemblent effectivement aux plaques d'un sol au-dessus duquel un feu aurait été entretenu. Le démembrement de ce sol et sa dispersion ultérieure (sur une dizaine de mètres) pourraient être dus à l'érosion.

La couche où a eu lieu la trouvaille est en partie recouverte par un niveau de tuf volcanique que la méthode du potassium-argon a permis de dater à 1,4 million d'années. Jusqu'ici, les plus anciennes traces de feux humains connues ne dépassaient pas 400 000 ans (découverte récente d'Achenheim, en Alsace ; foyer de Terra Amata, à Nice ; témoignages de Verteszöllos en Hongrie ou de Choukoutien en Chine). Ces fragments de terre « cuite » vieux d'au moins 1 400 000 ans pourraient constituer une découverte importante.

Les chercheurs anglais, canadiens et américains qui l'ont présentée en novembre 1981 — Gowlett, Harris, Walton et Wood — reconnaissent que des incertitudes demeurent. L'industrie trouvée mêlée à ces terres brûlées est un outillage sur galets (oldowayen) ne montrant guère de signes d'évolution. Il y a tien un biface, tout en haut...

D'autre part, un fragment de crâne d'hominidé, trouvé à une quinzaine de mètres, concerne le type d'australopithèque le moins évolué. Considérant néanmoins que le site est contemporain des anciens spécimens d'Homo erectus trouvés en Afrique, ces auteurs voient en ce dernier l'utilisateur de ce feu et de cette industrie. Dans ce cas, l'australopithèque pourrait simplement avoir été apporté là parmi d'autres spécimens de faune, et pour subir le même sort.

L'homme de Tautavel, le plus vieux crâne européen, demeure un mystère

Le plus ancien crâne humain connu en Europe, l'homme de Tautavel, reste pour le moment à peu près impossible à dater avec précision. C'est ce qu'a fait apparaître le colloque réuni sur les lieux mêmes à la fin du mois de juin 1981.

Toutes les techniques de datation envisageables pour un tel gisement s'y étaient donné rendez-vous : on était venu de Californie et du Japon jusque dans ce petit village des Corbières.

La caune, ou grotte de l'Arago, est une sorte de gisement-défi : les méthodes y sont utilisées aux limites de leurs possibilités.

Le crâne a été trouvé par l'équipe d'Henry de Lumley en juillet 1971. Il appartient, comme les mandibules dégagées les années précédentes, à une population appelée anténéandertalienne par Marie-Antoinette de Lumley, et dans laquelle on tend à regrouper les restes humains les plus anciens aujourd'hui connus en Europe. La stratigraphie et l'étude de l'environnement (sédiments et faune) placent les restes de l'Arago dans un épisode froid bien antérieur à la dernière glaciation (le Würm alpin), peut-être même à celle d'avant (Riss). Le problème consiste à dater tout cela en années.

La succession des faunes fournit des chronologies relatives que l'on peut étalonner au moyen des événements paléomagnétiques. La faune de rongeurs récoltée dans la couche G de l'Arago, celle du crâne, suggère alors une date de 320 000 à 350 000 ans. Les grands mammifères donneraient, eux, de 350 000 à 400 000 ans. On voit l'ordre de grandeur ; mais aussi l'ampleur de la fourchette.

Parmi les méthodes de datation absolue, il faut écarter les plus classiques. Le carbone 14 a une période trop courte : ses taux deviennent donc trop faibles au-delà de 30 000 à 40 000 ans. Le potassium-argon, si utile dans les gisements très anciens d'Afrique orientale, ne peut dater que des dépôts volcaniques, inexistants à Tautavel.

Écarts

On a donc essayé de travailler avec les séries de désintégration de l'uranium : mesurer, par exemple, le rapport entre l'activité de l'ionium (thorium 230) et celle de son père, l'uranium 234. Les matériaux carbonatés de l'Arago devaient convenir. Mais les résultats deviennent incertains au-delà de 350 000 à 375 000 ans, âge correspondant à quatre ou cinq périodes de l'ionium (75 000 ans). Cela paraît donc un peu juste pour l'Arago. Surtout, ces résultats ont été des plus disparates : de grands écarts sont apparus à la fois entre laboratoires et dans les mesures d'un même laboratoire. Les dates peuvent ainsi varier de 84 000 à 350 000 ans pour la couche du crâne. Une tentative de datation du crâne entier par comptage des émissions gamma a bien donné 455 000 ans, mais avec des marges d'erreur étonnantes : moins 210 000 ans et plus l'infini. Conclusion du chercheur : le crâne a plus de 250 000 ans.

Perturbations

En général, la couche où gisait le crâne a tendance à fournir des dates plus jeunes que les couches situées au-dessus d'elle. Il semble que beaucoup de perturbations y ont eu lieu : lessivages, migrations d'uranium, fixation à des taux différents selon les os. Tout cela reste mal éclairci.