Plus grave : les aciéries françaises ne parviennent pas à sortir du rouge. En 1980, pour la sixième année consécutive, Usinor et Sacilor, les deux champions de la sidérurgie française, ont affiché de lourdes pertes, respectivement 1,2 et 1,9 milliard de F. Au total, depuis 1974, dernière année bénéficiaire, ces deux firmes ont accumulé près de 17 milliards de F lourds de déficit !

Pourtant depuis 1977, toute une série de mesures ont été prises pour améliorer la situation : réduction de 25 % des effectifs (qui sont tombés à 115 000 salariés contre plus de 155 000) ; injection de plus de 20 milliards de F par le biais d'une prise de participation de l'État dans le capital des firmes concernées (Journal de l'année 1979-80), modernisation de l'outil industriel qui, dit-on, est aujourd'hui capable de rivaliser avec les sidérurgies européennes les plus performantes. L'importance et le prix de ces efforts auraient dû se solder par un assainissement de la profession, et, de fait, l'an passé, certains observateurs croyaient pouvoir déceler des indices d'amélioration.

Handicaps

Les derniers chiffres dont on dispose montrent que cette amélioration a fait long feu. Une telle rechute peut s'expliquer par plusieurs raisons :
– la sidérurgie est une activité arrivée à maturité ; ses handicaps sont structurels, à commencer par son niveau d'intensité capitalistique, qui la contraint à un certain immobilisme ;
– le deuxième choc pétrolier est intervenu alors que le plan de sauvetage mis en place voici trois ans n'avait pas encore eu le temps de faire sentir ses effets. Cette observation est valable pour tous les secteurs d'activité qui ont du plomb dans l'aile, mais elle prend tout son sens lorsqu'il s'agit d'une industrie au bord de la faillite. La sidérurgie française aurait besoin de souffler deux ou trois ans de plus, pour être vraiment en mesure de faire face à une nouvelle crise.
Contrairement aux commentaires optimistes entendus dans la profession, les installations industrielles d'Usinor et encore davantage celles de Sacilor, en Lorraine notamment, ont un niveau de compétitivité médiocre au niveau international. Globalement, on est encore très loin des performances japonaises ou brésiliennes, même si certaines unités de production sont pratiquement aussi compétitives ;
– les sidérurgies de la CECA se livrent une véritable guerre des prix. Pourtant l'objectif de la CECA est précisément de mettre en œuvre une politique de prix et de capacités de production susceptible d'assurer aux pays membres une activité et une rentabilité satisfaisantes. Mais certains pays et, à l'intérieur de ceux-ci, certains aciéristes pensent qu'il est davantage conforme à leurs intérêts d'entretenir des capacités excédentaires, grâce à une politique de rabais. Néanmoins, le 24 juin 1981, la CEE décide de prolonger pour un an les quota de production, mesure de prudence adoptée pour soutenir le marché.

Divergences

Les Italiens ont été longtemps coutumiers du fait et, depuis peu, ils sont rejoints par les Allemands et les Luxembourgeois. Ces divergences donnent lieu à des affrontements très vifs à Bruxelles, affrontements qui se concluent régulièrement par des accords qualifiés suivant les cas de « plan Davignon », « état de crise manifeste », ou « programme volontaire de répartition de la production », et qui sont violés le jour même où ils sont signés. Le dernier en date, négocié en avril dernier, devait prendre effet le 1er juillet 1981. Avec, cette fois, un atout : les Allemands, subissant de plus en plus les effets déplorables de la concurrence, se sont rapprochés des Français. Les prix vont donc cesser de baisser. Ce sera malheureusement insuffisant pour entrevoir la sortie du tunnel.

Quelles que soient les péripéties de la conjoncture économique et politique, la sidérurgie française est en effet en train d'administrer la preuve qu'aucun remède miracle ne peut la sortir de l'ornière dans laquelle elle est durablement embourbée. Quels que soient les efforts qui ont été et seront consentis en sa faveur, cette vieille industrie risque de rester condamnée à l'assistance publique.

Restructuration

Si, cette année, aucune amélioration n'a été notée dans la sidérurgie lourde, des restructurations prometteuses ont cependant été engagées dans les aciers spéciaux. Il est beaucoup question, depuis 1979, de revigorer Usinor et Sacilor par l'adjonction d'une activité aciers spéciaux théoriquement plus noble, donc plus rentable que la production d'acier brut.