La journée de dupes du 1er avril porte la confusion à son comble. À l'issue de subtiles manœuvres préparées par certains des intermédiaires, le président Carter décide de « surseoir à l'imposition de sanctions supplémentaires contre l'Iran ». Il qualifie de « pas positif » les propos conciliants du président Bani Sadr, qui venait d'affirmer que les otages seraient placés sous le contrôle du Conseil de la révolution, alors que, quelques heures auparavant, l'imam venait de rejeter un ultimatum de Washington dans ce sens et que le « oui » de Bani Sadr constituait plutôt un « oui, mais » assorti de telles conditions qu'il équivalait pratiquement à un « non poli ».

Il faudra plus d'une semaine au président Carter pour réaliser que l'équilibre des forces en Iran, contrairement à ce que lui laissaient entendre certains des intermédiaires, n'est pas favorable aux États-Unis et aux modérés iraniens, en nette perte de vitesse. Le 7 avril, il annonce la rupture des relations diplomatiques avec Téhéran, expulse de Washington les diplomates iraniens et ordonne l'application des sanctions approuvées par 10 des membres du Conseil de sécurité, le 13 janvier, dans une résolution qui avait fait l'objet d'un veto de l'URSS.

Ce nouveau rebondissement de la crise irano-américaine renforce l'aile radicale du régime de Téhéran et donc les partisans de la révolution permanente en Iran, qui, avec l'imam Khomeiny, « bondissent de joie » à l'annonce des mesures décrétées par le président Carter. La tension qui se développe au même moment à la frontière iraqienne sert également les objectifs des durs en créant dans le pays un climat de mobilisation guerrière.

Le grand perdant dans cette affaire est le président Bani Sadr qui avait nettement engagé son autorité pour obtenir la remise des otages au Conseil de la révolution en échange d'une promesse de non-ingérence des États-Unis. D'autre part, les pays de l'Europe des Neuf (sur la neutralité bienveillante desquels Bani Sadr comptait) menacent, le 22 avril, à Luxembourg, de suivre l'exemple des Américains si « aucun progrès décisif menant à la libération des otages n'est constaté avant le 17 mai ».

Pressions

En fait, les dirigeants de la CEE ont finalement cédé aux pressions américaines, afin d'empêcher que Jimmy Carter n'entreprenne une action militaire intempestive contre l'Iran qui risquerait, selon eux, de mettre le feu aux poudres dans la région du Golfe et de précipiter l'Iran dans les bras de l'URSS. Dans ces conditions, la tentative américaine du désert de Tabas pour libérer les otages dans la nuit du 24 au 25 mars (soit près de 48 heures après la réunion de Luxembourg) est lourde de conséquences. Elle place les gouvernements européens dans une situation inconfortable, affaiblit encore plus le camp des modérés à Téhéran et remet en selle les étudiants islamiques, qui affirment aussitôt qu'une nouvelle opération militaire américaine entraînerait l'« immolation » des diplomates et décident par mesure de sécurité de répartir les otages dans une douzaine de villes.

L'expédition de Tabas n'était que la première phase d'une opération qui devait être complétée par l'entrée en action, dans un second temps, de commandos iraniens de l'opposition recrutés dans divers milieux civils ou militaires. Les autorités sont demeurées très discrètes au sujet de cette conjuration, dans laquelle des représentants de la haute hiérarchie des forces, armées seraient impliqués. Mais, au début de mai, la chasse aux complices ces Américains a créé dans le pays un climat d'espionnite qui est mis à profit par les intégristes du Parti républicain islamique pour entreprendre et faciliter la purge de l'université et de l'administration de tous les éléments de gauche.

C'est donc dans une atmosphère de crise latente, aggravée par la reprise des procès expéditifs suivis d'exécutions sommaires des adversaires du régime, que les électeurs iraniens se rendent aux urnes le 9 mai 1980 pour le deuxième tour des élections législatives, initialement fixé au 3 avril.

Émeutes

La victoire du PRI est confirmée au second tour. Le nouveau Parlement, qui tient sa séance inaugurale le 28 mai, sera donc dominé par les intégristes du Parti républicain islamique, dont le chef, l'ayatollah Behechti, ne dissimule même plus sa volonté de limiter les pouvoirs du président de la République et de monopoliser le pouvoir. Plus de 17 mois après la révolution de février, l'imam Khomeiny reste le seul arbitre possible entre les deux tendances antagonistes essentielles qui se partagent le pouvoir légal à Téhéran. Bien que ses préférences aillent vers le PRI, qui lui est resté toujours fidèle, le guide de la révolution ne semble pas souhaiter l'écrasement total du courant modéré représenté par Bani Sadr et ses amis. Le 10 juin, il lance un appel pathétique à la nation dans lequel il dénonce les « luttes intestines » qui menacent de « faire sombrer le régime dans le néant ». Peine perdue, les Hezbollahis, qui pourtant ne jurent que par l'imam, lancent deux jours plus tard une de leurs plus violentes attaques contre les Moudjahidin (musulmans progressistes) réunis dans un stade de Téhéran, faisant 1 mort et près de 500 blessés. Plus grave encore, les gardiens de la révolution, chargés du maintien de l'ordre public et de la sécurité des citoyens, prennent fait et cause pour les émeutiers professionnels que sont les Hezbollahis.