En attendant de former un nouveau gouvernement, on va tenter de mettre sur pied un triumvirat : Costa Gomes, Vasco Gonçalves, Otelo de Carvalho, chef du COPCON. Mais ce hâtif replâtrage ne suffit pas à réconcilier les tendances du MFA. Tandis que le Premier ministre, soutenu par sa claque gauchiste, se promet de réaliser un front commun allant « des franges maoïstes aux franges du PS », les officiers modérés, menés par le ministre des Affaires étrangères, le major Melo Antunes, boycottent l'assemblée.

Vasco Gonçalves parvient, non sans peine (les partis s'étant dérobés), à constituer, le 8 août, son 5e cabinet : une majorité de procommunistes. Mario Soarès prévient qu'il est « prêt à faire descendre dans la rue l'écrasante majorité du peuple pour imposer un gouvernement de salut national ».

Désordres

Melo Antunes et huit de ses camarades dénoncent, dans une lettre-manifeste, « la marche à la dictature bureaucratique ». Il est immédiatement exclu du Conseil de la révolution.

Les désordres s'étendent dans les casernes. Un régiment démet son colonel. Partout se tiennent réunions et assemblées officielles ou clandestines de soldats. Dans le Nord, les sacs et les incendies de permanences communistes se poursuivent, des fusillades éclatent ; il y a maintenant des morts et des blessés.

Alvaro Cunhal, le prestigieux secrétaire du PC, ne peut parler à Alcobaça, le 16 août. Le 19, il est contraint d'annuler un meeting à Porto. Le 24 août, les 9 modérés de Melo Antunes lancent un ultimatum exigeant le départ de Vasco Gonçalves. Celui-ci met en cause « les ambiguïtés du MFA », qui « paralysent son gouvernement » ; néanmoins, il démissionne le 29 août pour devenir chef d'état-major de l'armée portugaise, charge qu'il n'occupera jamais parce que contesté par la majorité des chefs militaires.

Si Vasco Gonçalves a quitté le devant de la scène, les gonçalvistes sont toujours en place. Leur élimination va constituer la troisième phase de la crise portugaise.

Le nouveau Premier ministre, l'amiral Pinheiro de Azevedo, va s'employer à désamorcer le conflit : réintégration des modérés au sein du Conseil de la révolution, projet de réforme de la turbulente assemblée du MFA, création de groupements militaires d'intervention (AMI), recrutés parmi les troupes loyales et susceptibles de pallier d'éventuelles défaillances du COPCON ; enfin, un cabinet conforme aux résultats des élections d'avril et où les socialistes se taillent la part du lion.

« Discipline, autorité, travail », tel est le programme exposé par l'amiral dans son discours d'investiture, le 19 septembre.

Grève du gouvernement

Mais les mesures prises, au lieu d'apaiser les passions, vont les exacerber. Communistes et gauchistes multiplient les manifestations hostiles au nouveau gouvernement, appuyés par les comités de soldats partisans de Vasco Gonçalves. La contestation se développe, les heurts se multiplient, le sang coule.

Une série d'événements vont précipiter le dénouement ; le 9 novembre le Premier ministre s'adresse à 100 000 militants du PS et du PPD sur la place du Commerce de Lisbonne, quand éclatent une série de grenades lacrymogènes. La foule, affolée, s'en prend aux soldats présents. Le 12, une foule d'ouvriers du bâtiment séquestre dans le palais de São Bento le Premier ministre et 250 députés de la Constituante.

Le 16, 100 000 gauchistes manifestent contre l'amiral Azevedo. Chaque fois, le COPCON n'intervient qu'avec fort peu d'empressement.

Alors, le Premier ministre lance, dans la nuit du 19 au 20, un ultimatum au président Costa Gomes, le sommant d'« assumer les responsabilités qu'il détient en qualité de chef d'état-major des forces armées, afin de rétablir l'ordre et l'autorité nécessaires à l'exercice du gouvernement ». Jusque-là, le Premier ministre décide de suspendre les activités du cabinet. Étrange grève de gouvernement. Elle est soutenue par d'énormes manifestations de masses organisées par socialistes et PPD. De son côté, Melo Antunes (ministre en grève) affirme : « Nous sommes certains qu'à l'intérieur de l'armée il y a un plan — un plan communiste — de désorganisation systématique des structures. »

Rébellion

Réuni le 24 novembre, le Conseil de la révolution décide de retirer le commandement de la région militaire de Lisbonne à Otelo de Carvalho, dont l'attitude à l'égard du gouvernement apparaît équivoque. Il est remplacé par le général Vasco Lourenço ; toutefois, il demeure patron du COPCON.