Mode

Femme-fleur et femme-tube

« La mode qui se démode est une notion totalement périmée... L'avenir de la mode ? C'est l'uniforme. Le bleu de Chine à la française... Pas tout à fait le costume unique, mais un vestiaire réduit... » déclare Yves Saint-Laurent, en septembre 1974, à un magazine spécialisé du commerce du textile. Il dit aussi : « Une collection de haute couture, c'est un exercice de style : on peut y tester de nouvelles formes... » Pour le printemps, il propose une ligne tige, flexible et droite. Élément de base, le tee-shirt en jersey de soie rayé blanc, marine ou noir, sans manches ou à bretelles. Traité en robe, un lien coulissé à la taille et l'ourlet en haut du mollet, sous un manteau de gabardine, il annonce peut-être un nouvel art de s'habiller.

Tube

Prenant le contrepied de la démesure et des falbalas, c'est aussi une femme-tube que dessine Ungaro : la carrure élargie, la taille marquée ou rehaussée pour rajeunir, le genou en vue. Ses cardigans imprimés posés sur des robes décolletées, ses blouses-tabliers à grandes poches étonnent par leur économie. Ailleurs, la ligne reste modérément longue, la taille précise, les épaules affirmées. Et, à coté du blanc et du marine, la couleur éclate. Comme un hommage aux impressionnistes, Scherrer, Ricci, Dior, Givenchy travaillent la soie en touches lumineuses : pastels nacrés, imprimés en pointillés, camaïeux de mousseline.

Dans les familles du prêt-à-porter, l'ampleur se porte à étages, à volants et en forme. Les stylistes plissent la flanelle, lissent le shantung, froncent le voile et le jersey, usent des transparences de l'étamine et de la dentelle pour alléger le corps et la robe. Ils imposent le pilou, le coton ; en piqué, en toile, en popeline, le kaki couleur de brousse et le naïf écru.

Influence

La femme-fleur épanouie dans sa jupe d'organdi brodée de bouquets, prête pour une garden-party à l'Élysée, efface l'hiver et les ombres, et jusqu'au souvenir de la femme tout-en-laine, captive des capes, enlisée dans les pèlerines et les écharpes, bottée comme une écuyère.

Dans la rue, c'est le cinéma. La gigolette qui passe, gainée dans un jean cigarette ou un corsaire collant comme une peau, sous un chandail vague et bourru, imite Marilyn Monroe dans Le milliardaire ; telle autre, avec son ample jupe à godets style new look, sa taille ceinturée, ses épaules carrées, c'est la silhouette d'Ava Gardner dans La comtesse aux pieds nus. Drapée de crêpe Georgette couleur de lune, Mia Farrow, vedette américaine de Gatsby le Magnifique, accentue le mouvement rétro irritant et honni, tout comme les séduisantes crapules de L'arnaque, Paul Newman et Robert Redford, arborant des casquettes de tweed et des gilets cintrés, qui ont influencé la mode masculine.

Le cinéma a plus d'influence que la haute couture et le prêt-à-porter (souvent, d'ailleurs, le cinéma l'inspire), et les boucles de Céline et Julie, les héroïnes de Jacques Rivette, le déglingué bohème de leur accoutrement, jupes fendues, sautoirs, chaussures à semelles plateforme, grand sac fourre-tout à l'épaule et boa déplumé, ont fait plus d'adeptes que le meilleur Cacharel, rêveur et capiteux, photographié par Sarah Moon.