On voit aussi une bonne partie de cette marginalité se révolter contre l'indifférence (ou le parti pris) à la fois des pouvoirs publics et des mass media. Elle constitue une Action-Chanson mobilisatrice d'opinion, et en octobre 1974, à Paris et à Bagnolet, elle présente au public un certain nombre de ses chanteurs associés : Jo Schmelzer, David et Dominique, Pantchenko, Henri Gougaud, Claude Vinci, Imbert et Moreau, Fonfrède et Pons, Kerval, Francesca Solleville, Joan-Pau Verdier, etc.

Dans cet éveil, on ne peut pas ignorer l'audience sans cesse accrue de la musique folk en France, avec des groupes comme Malicorne, la Bamboche ou Mélusine ; mais le sujet est hélas trop important et déborde du cadre de la chanson.

L'expression ethnique (plutôt que régionale) continue à progresser. Stivell en tête (E. Langonned). Joan-Pau Verdier, un Occitan, vient d'être primé, en juin 1975, par l'Association des critiques de variétés (en même temps que Mitchell et Beaucarne) pour son disque Faits divers. En Alsace, un personnage savoureux, Roger Siffer, entreprend de balayer avec humour le conformisme folklorique (dans lequel on enferme facilement sa région) et invente la chanson alsacienne moderne. Il vend 40 000 exemplaires de son premier disque. Rien qu'en Alsace !

Pour la coopérative occitane Ventadorn, cela ne va pas aussi bien. Ses chanteurs principaux, quoique réputés (Marti, Patric), ont bien du mal à résoudre les problèmes financiers posés par le choix exclusif qu'ils ont fait de la langue occitane. Problèmes posés également par la non-prise en compte du patrimoine musical de leur région (au contraire de Stivell et de Siffer), et par l'inadaptation de leur structure commerciale à l'ensemble du marché hexagonal (au contraire de Verdier, qui se fait distribuer par Phonogram).

Face à ce marché, et tant qu'il n'y a pas une ouverture définitive des mass media vers la chanson d'expression, les petites maisons productrices de disques continueront à connaître de graves difficultés financières. Ainsi les disques Cavalier (Hélène Martin, Gougaud, Moiziard), le BAM (Bertin, Elbaz) ou le Saravah (Barouh, Mahjun, Caussimon, Mc Neil), bien que pour cette dernière ce soit précisément l'année du redressement.

Succès

Un autre petit producteur, Péridès, tire son épingle du jeu avec un chanteur allemand qui s'exprime également en français : Frederick Mey. Ce chanteur pose un cas qui en dit long sur l'image réelle du métier donnée par les media : il ne passe presque jamais à la radio, ne figure pas dans les hit-parades, et pourtant les salles de spectacle dans lesquelles il se produit assez régulièrement en France sont toujours trop petites. Il est cependant un des vendeurs de disques les plus importants et les plus réguliers du marché français !

Cette mutation des valeurs joue plutôt cette année en faveur des chanteurs qui représentent un personnage cohérent à dynamique généralement socio-écologique (problèmes et tendresses de l'homme moderne pour sa civilisation) qu'en faveur des chanteurs à titres, dont le répertoire se fonde le plus souvent sur des réactions sentimentales. Certains chanteurs sont aujourd'hui connus et appréciés pour leurs chansons, sans que l'on sache exactement quel personnage ils sont, et d'autres le sont pour leur personnage, sans qu'il soit nécessaire de faire référence à tel ou tel titre particulier. Naturellement, il n'y a pas une frontière hermétique entre les deux.

Sardou et Lama illustreraient bien la tendance titres, Le Forestier et Simon la tendance personnages.

Il n'est pas étonnant que ces quatre chanteurs, représentant le meilleur centre entre la chanson gadget et la chanson militante, fassent le plein dans les salles de spectacle et le vide dans les bacs des disquaires.

Michel Sardou (Une fille aux yeux clairs, Aujourd'hui peut-être) ne va pas commercialement aussi loin qu'avec la Maladie d'amour, mais reste stable à un très haut niveau.

Serge Lama (Mon ami, mon maître, L'Algérie) éclate au palais des Congrès en janvier, si « éclater » veut dire, dans le jargon du métier, prendre une stature irréversible. À la même époque, d'ailleurs, Sardou bourre l'Olympia et Stivell le palais des Sports.