Le palais des Congrès accueille également, avec le même succès, Maxime Le Forestier, dont on peut dire que ses chansons prennent de la maturité en profondeur (Saltimbanque, Petit robot), et que le personnage se définit, très insidieusement mais avec courage et cohésion, dans une ligne antimilitariste que le fameux Parachutiste pouvait bien laisser augurer.

Pour Yves Simon, c'est un deuxième 33 tours chez RCA (Respirer, chanter), un troisième livre chez Grasset (Transit Express), un passage au Théâtre de la Ville en avril 1975, l'entrée dans la collection Poésie et chansons de Seghers, et une émission d'un mois (juin 1975) sur France-Inter : Transit. Yves Simon intègre dans son personnage un goût pour la liberté, le voyage, la civilisation urbaine, la rencontre et la pop music.

Vétérans

Mais que deviennent les vieux dans tout cela ?

Accusé d'avoir clandestinement passé en Suisse des sommes importantes, Aznavour répond pour nous : « Comment aurais-je pu passer de l'argent dans le sens France-Suisse, alors que, ma carrière étant à présent presque exclusivement extranationale, toutes mes rentrées se font à l'étranger ! »

Brel est à la Guadeloupe, mais continue à vendre ses anciens titres comme si de rien n'était. Ferré vit en Italie : il dirige en Suisse le Concerto pour la main gauche de Ravel.

Bécaud, Barbara, Julien Clerc et Nicoletta sont vivants, ils habitent à Paris. Brassens se trouve dans sa période bisannuelle de repos. Il se confirme qu'il ne fera pas, à Bobino, la rentrée attendue. Ses disques continuent à tenir le haut du pavé. Charles Trenet ne permet pas à l'Olympia, en avril, de faire des salles aussi belles que l'image qu'on garde de lui. Marcel Amont monte aux Bouffes-Parisiens Pourquoi tu chanterais pas, dont il est responsable avec Robert Beauvais, Jacques Revaux (compositeur de Sardou) et Roland Vincent. Dalida reçoit à l'Olympia, le 13 janvier : un disque de platine pour Gigi (Benelux), un Cœur d'or (Espagne), un disque d'or pour 18 ans (Allemagne), quatre disques d'or de son distributeur en France (Sonopresse) et l'Oscar mondial des succès du disque 74.

Ni vieux ni jeunes, Claude Nougaro, qui accentue sa couleur brésilienne en compagnie de Baden-Powell (et qui passe de Philips chez Barclay), et peut-être plus encore Graeme Allwright, que les media ignorent complètement, ont des images de marque excellentes et qui déplacent les foules.

Un des caractères de la mutation enregistrée réside aussi à la fois dans le respect des très grandes valeurs anciennes (Brassens, Brel) et dans la prise en charge par les jeunes du nouveau vedettariat.

Courants

Pour ces jeunes, deux courants principaux (en dehors du courant purement enfantin) coexistent : le courant de ceux qui arrivent à se faire connaître par les circuits du système néotraditionnel (disque-radio-tournées-Olympia) favorable aux chanteurs de chansons, et le courant prototraditionnel de ceux qui, sans y parvenir encore par ces moyens (qu'ils soient trop jeunes dans le métier, que le métier boude leurs chansons ou leur personnage, ou qu'eux-mêmes boudent le show-business), se font un nom dans ce qu'on appelle assez spécieusement la marginalité (MJC ou théâtres en province, Mouffetard, cabarets ou cour des Miracles à Paris, petites productions indépendantes de disques). Un autre caractère de cette mutation est précisément l'éclatement progressif, la démarginalisation des circuits parallèles.

Dans le premier courant, on rencontre au moins deux chanteuses au talent indiscutable. Jeanne-Marie Sens développe correctement sa carrière discographique (L'enfant du 92e) et se prépare très sérieusement pour la scène, en compagnie de Jean-Pierre Castelain. Après le succès de Parlez-moi de lui, Nicole Croisille aurait pu retomber dans l'indifférence courtoise mais injuste qui ne l'a que trop souvent entourée. Pas du tout. Femme a très bien pris le relais. Quant à Véronique Samson, elle a fait une apparition très remarquée en France en février, mais elle réside aux États-Unis depuis son mariage avec Stephen Stills.

Qualité

Jean-Michel Caradec débouche enfin sur le grand public, avec une aimable Petite fille de rêve qui ne doit pas faire oublier d'autres aspects plus profonds de sa sensibilité, de son sens poétique et musical. Alain Souchon (J'ai dix ans, Petite annonce, Le château) et Yves Duteil (Elle est brune, J'ai caché ton mouchoir, La tendre image du bonheur) ont fait cette année un grand pas en avant vers la carrière de qualité qu'ils méritent et pour laquelle ils sont taillés. Daniel Guichard (Anna, Mon vieux) continue à progresser sur un velours d'attendrissements généralement peu risqués. Et puis il y a Dick Annegarn, Jacques Yvart et Pierre Tisserand (qui obtient un prix de l'académie Charles-Cros). Ces trois derniers ne sont ni de même nature ni de même niveau d'audience, mais chacun d'eux a vu sa cote augmenter cette année.