La première expérience qu'elle en a faite lui laissera peut-être l'un des souvenirs les plus heureux de sa récente histoire.

Carburant

Le 21 novembre 1973, le Conseil fédéral décide d'interdire, pour les trois dimanches qui suivront, toute circulation automobile. On prévoit, naturellement, un certain nombre d'exceptions en faveur des transports publics, des voitures de police et de pompiers, des taxis et des citoyens qui, astreints à un travail dominical, doivent parcourir de longues distances par leurs propres moyens. Il n'empêche que, ce 26 novembre, à 3 heures du matin, le pays n'en croit pas ses oreilles. Un silence extraordinaire est tombé sur les villes. Et, dès le jour venu, voici que s'organise une espèce de réjouissance populaire. Les familles en promenade se sont emparées des chaussées, où les enfants se grisent de patin à roulettes et de caisse à savon. On s'interpelle, on rit, on apostrophe sans aménité les rares véhicules munis d'une autorisation : révolte sans lendemain, mais révolte quand même, contre l'idole automobile.

Aussi, bien que l'économie de carburant soit fort mince, pour ne pas dire hypothétique, un groupe de jeunes Alémaniques annonce qu'il va lancer une initiative fédérale en vue de maintenir, par hygiène physique et mentale, l'interdiction de rouler un dimanche par mois pendant toute l'année.

Le prix de l'essence reste, par rapport aux autres pays, assez bas. Mais le fossé se comble très vite. Un duel assez spectaculaire oppose le conseiller national Leo Schürmann, Monsieur Prix, aux importateurs de carburant. Il les empêche, six mois durant, de modifier leurs tarifs. Vers le 17 octobre 1973, l'autorité doit plier devant les lois du marché. Elle admet une première augmentation de 2 centimes par litre. En janvier 1974, ce seront 7 centimes supplémentaires. Et, en mars, 12 centimes.

Entraves

Ce même mois, le Conseil fédéral porte à 130 km/h le plafond de la vitesse autorisée sur les autoroutes. La limite reste, sur les routes ordinaires, à 100 km/h. Une enquête officielle montre que ces entraves à la liberté du conducteur ont épargné son sang : la statistique des accidents a fait un recul de 9 %, celle des cas mortels de 16 %.

Mais le réseau routier ne se développe pas à la cadence prévue. Il s'en faut ! L'autoroute de la vallée du Rhône (Lausanne-Brigue) sera achevée en 1988 seulement. La liaison Vevey-Berne, elle, ne sera prête qu'en 1979. Or, elle constituera très probablement l'axe principal entre la Suisse romande et la Suisse allemande. En effet, l'autoroute qui devait relier Lausanne à Berne par Yverdon se heurte à des oppositions toujours plus fortes. D'une part, parce qu'elle passerait par la rive sud du lac de Neuchâtel, réserve naturelle où abondent les arbres, les roseaux et les oiseaux (la protection de la nature commence à peser d'un poids très lourd et très nouveau) ; d'autre part, parce que sonne l'heure des ambitions restreintes et des économies inévitables. Les collectivités publiques accumulent d'inquiétants déficits.

Un gouvernement très rajeuni va devoir affronter ces temps ingrats. En octobre 1973, fait exceptionnel, trois conseillers fédéraux ont présenté leur démission pour la fin de l'année : le chef du département des Finances, Nello Celio (radical), un Tessinois débordant d'intelligence et de charme, encore qu'il n'ait pas eu les moyens de préserver l'équilibre de ses budgets ; le chef du département de l'Intérieur, Hans Peter Tschudi (socialiste), un Bâlois qui a dissimulé sous une modestie un peu grise une formidable capacité de travail et de décision ; enfin, le chef du département des Transports, des Communications et de l'Énergie, Roger Bonvin (démocrate-chrétien), un Valaisan dont le passage à l'exécutif suprême n'aura pas laissé de traces impérissables, mais qui aura toujours bénéficié de larges sympathies populaires.

Successions

Le remplacement de ces trois hommes pose un problème d'une délectable complication politique : il faut leur trouver des successeurs de très large carrure, sans négliger les places acquises au gouvernement par leurs partis, et, bien entendu, sans léser non plus les droits des régions linguistiques.