Si la bataille est foisonnante, animée, violente parfois – du moins au niveau des dirigeants –, elle demeure assez mesurée dans les circonscriptions et aucun incident grave n'est signalé. Les seuls événements de cette période seront l'incendie d'un collège d'enseignement secondaire du XIXe arrondissement de Paris, rue Édouard-Pailleron, qui fait 20 morts parmi les jeunes camarades des adolescents qui l'ont allumé ; et le rocambolesque épisode du viol de la sépulture du maréchal Pétain à l'île d'Yeu par de soi-disant défenseurs de sa mémoire. Les sondages continuent cependant d'enregistrer la lente montée de l'opposition et la décrue de la majorité, qui aborde le scrutin avec inquiétude.

Au premier tour, le 4 mars, il apparaît clairement que la gauche ne peut l'emporter. Certes, la majorité est atteinte, entamée, non seulement par rapport aux élections, pour elle triomphales, de 1968, mais même à la consultation difficile et peu satisfaisante de 1967. Néanmoins, elle résiste mieux que les sondages ne le laissaient prévoir. Le parti communiste se situe à mi-chemin entre son résultat de 1968 et celui de 1967, mais son audience subit un certain tassement dans plusieurs régions, notamment la région parisienne. Le parti socialiste, avec ses alliés radicaux de gauche, progresse fortement et dans toutes les régions ; sans toutefois prendre sur le PC l'avantage que lui prédisaient les instituts de sondage. Les réformateurs, enfin, ne réalisent pas toutes leurs ambitions : ils ne seront pas, entre les deux camps, les arbitres de la situation parlementaire, mais ils pourront cependant jouer un rôle important au second tour selon qu'ils pencheront vers l'une ou l'autre tendance.

C'est l'appel aux réformateurs, l'incertitude sur leur choix qui dominent toute la semaine du ballottage. Séduction, reproches et mises en garde alternent à leur endroit : en définitive, s'ils penchent plus nombreux vers la majorité, comme on le prévoyait, leurs électeurs ne les suivront pas toujours et une fraction nullement négligeable des voix du centre se reportera sur les socialistes.

Les machines à voter

Modeste début du vote électronique pour les législatives de mars 1973 dans quelques circonscriptions de la région parisienne et en Corse. Au total 266 bureaux de vote ont été équipés de machines. Les maires des villes concernées dénoncent aussitôt « le caractère discriminatoire et racial » du choix du gouvernement. Aux raisons techniques qu'ils font valoir, ils constatent « que les villes sont toutes, par un curieux hasard, des municipalités d'opposition ». Pour contrer la décision du gouvernement, les conseillers municipaux d'Ajaccio et de Bastia décident, le 9 février, de déposer massivement des candidatures pour que le nombre des candidats soit supérieur aux possibilités offertes par la machine. Au premier tour, 28 tombent en panne sur 266 à Paris et dans la banlieue. Au second tour, au contraire, elles fonctionnent normalement.

Majorité électorale

– 18 ans : Albanie, Allemagne de l'Est, Allemagne de l'Ouest, Autriche, Bulgarie, Grande-Bretagne, Hongrie, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie, URSS, Yougoslavie, USA.

– 20 ans : Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Suisse, Japon.

– 21 ans : Belgique, Espagne, France, Grèce, Italie, Portugal, Suède.

Majorité

Le 11 mars, au soir du second tour, ce qui frappe d'abord c'est le renouvellement du personnel politique : 174 sièges ont changé de titulaire. C'est ensuite la transformation sérieuse des électorats qui touche tous les partis. C'est aussi la modification de l'équilibre interne de la majorité, où l'UDR n'a plus à elle seule la majorité absolue et, forte de 184 élus (elle en a donc perdu 89), devra compter davantage avec les giscardiens (54 députés pour 61 sortants) et les centristes alliés (23 pour 26 sortants). C'est enfin – et peut-être surtout – la disproportion entre les voix et les sièges.

Pour cinq millions de suffrages le 4 mars, les communistes ont 73 députés le 11 ; le PSU et les extrémistes ont 3 élus pour 800 000 voix ; les socialistes et radicaux de gauche, ensemble, 101 sièges (dont 89 pour le PS) avec, ensemble également, quatre millions et demi d'électeurs ; les réformateurs acquièrent, pour trois millions de voix, 31 sièges – un de plus qu'il n'était nécessaire pour former un groupe ; enfin la majorité, avec neuf millions de suffrages en gros, compte 265 députés. Lorsque les divers et non-inscrits auront fait leur choix, on constatera ainsi qu'il a fallu à la gauche environ onze millions de suffrages pour faire entrer au Palais-Bourbon 180 députés ; qu'il a suffi à la majorité de neuf millions de voix pour conserver ou conquérir 270 sièges ; que les réformateurs enfin, avec trois millions d'électeurs, n'ont que 32 élus. D'où le sentiment d'injustice, de truquage, qui s'exprimera avec véhémence à l'heure des commentaires.