Rien ne troublera vraiment l'euphorie qui règne au PCF, réintégré dans la famille des partis. Au début de septembre, François Mitterrand se heurte à l'ambassadeur d'URSS, Abrassimov, à propos des juifs d'Union soviétique et des procès de Prague. Le premier secrétaire du parti socialiste annule le voyage qu'il devait faire quelques jours plus tard à Moscou. Le parti français ne réagit qu'à peine et sans la moindre nervosité. Lorsqu'à la fin de novembre le PS fonde avec les radicaux de gauche et quelques personnalités (Robert Buron, Gilles Martinet et leurs amis) l'Union de la gauche socialiste et démocrate (UGDS), qui sera son sigle électoral, le PCF ne dit mot. Et c'est à peine s'il regrette à voix basse que les socialistes réunissent, les 25 et 26 novembre, une Conférence nationale sur la Tchécoslovaquie, à laquelle ont été invités symboliquement (car ils ne pourront venir) les chefs du printemps de Prague aujourd'hui traités en suspects dans leur pays.

Mieux : moins d'une semaine après cette réunion, les partis de la gauche unie organisent à Paris, porte de Versailles, le 1er décembre, avec Georges Marchais, François Mitterrand et Robert Fabre, un meeting qui remporte un incontestable succès populaire. Le principal auteur communiste de l'accord de la gauche, G. Marchais, voit son autorité enfin reconnue sur son parti : le XXe Congrès du PCF, siégeant du 13 au 17 décembre à Saint-Ouen, le porte au poste suprême de secrétaire général qu'il n'occupait jusque-là que par intérim.

La gauche a d'autres motifs de satisfaction. Les sondages, en effet, lui donnent un avantage croissant sur ses adversaires. De semaine en semaine, l'écart se creuse entre la majorité, dont les intentions de vote reculent de 45 % en octobre à 36 % dès la fin de l'année, et l'opposition, dont le score s'élève au même rythme de 43 % à 48 %. « Et si la gauche gagnait ? », commencent à se demander les états-majors et les observateurs. Cette croissance rapide profite, il est vrai, davantage aux socialistes, qui enregistrent bientôt un, puis deux points d'avance sur leurs alliés communistes, et le PCF ne tardera guère à s'alarmer de cette poussée du PS.

Réformateurs

Mais, entre les deux armées, les sondages font aussi apparaître l'existence d'un petit bataillon : les centristes réformateurs, qui représentent, selon les indices, de 12 % à 14 % des votants présumés. Fondé en novembre 1971 par l'alliance du Centre démocrate, que préside Jean Lecanuet, et du parti radical conquis par J.-J. Servan-Schreiber, le mouvement réformateur a été relancé par ses chefs à la fin de septembre 1972.

Alignant 400 candidats, il espère bien remporter près d'une centaine de sièges ; mais, surtout, il escompte un résultat tel que ni la coalition sortante ni la gauche unie n'aient la majorité absolue, et que le centre se trouve dès lors être l'arbitre.

Cependant la nouvelle politique a retenu l'attention de l'opinion au moins autant que les évolutions des partis. À titre indicatif, relevons par exemple les remous suscités à la fin de novembre par un procès d'avortement devant le tribunal de Bobigny où d'illustres savants viennent soutenir l'accusée, une jeune fille de dix-sept ans, et réclamer la liberté et la gratuité de l'interruption de grossesse. Ou encore les polémiques suscitées par l'exécution de Bontems et Buffet, condamnés pour le meurtre d'un surveillant et d'une assistante sociale de prison qu'ils avaient pris comme otages : c'est la première fois depuis qu'il est entré à l'Élysée que G. Pompidou a refusé la grâce et, avec ce refus, c'est l'idée de l'abolition de fait de la peine capitale qui disparaît.

On peut citer aussi la mise en question du système judiciaire à travers notamment l'affaire de Bruay-en-Artois : l'enquête sur l'assassinat d'une fille de mineurs connaît des rebondissements qui recoupent des phantasmes et libèrent des refoulements, avec le petit juge, le notaire inculpé, les péripéties de l'enquête et de la procédure. Mais le suicide d'un enfant dont la mère a été emprisonnée pour n'avoir pas réglé une traite de crédit, la mort d'un Nord-Africain dans un commissariat de la banlieue parisienne, les révoltes qui éclatent périodiquement dans les prisons alimentent aussi les discussions sur ce thème. Et on n'aura garde d'oublier les manifestations contre l'extension du camp militaire du Larzac et les cortèges contre la pollution, les centrales nucléaires et la bombe. Puis les premières grèves de la faim en faveur des travailleurs immigrés. Enfin la contestation, qui apparaît dans les grandes écoles – Polytechnique, ENA –, reprend, dans certaines facultés, les prodromes d'agitation dans les lycées à l'approche de l'entrée en application de la loi Debré réorganisant le système des sursis militaires.