Pendant certaines interventions, les patients ont ouvert les yeux, bougé la main ou dégluti leur salive, environ une heure après le début des actes opératoires. « Après deux heures, expose le professeur Cara, le dialogue a été possible avec certains malades pendant l'opération : ils ouvraient les yeux à la demande, répondaient par oui ou par non à nos questions, sans faire état de sensations douloureuses ni même de gêne accentuée. »

Indifférence

Finalement, aucun malade n'a gardé de souvenir de l'opération (certains disent avoir rêvé, mais ils ne se souviennent pas de leur rêve) et tous sont restés indifférents pendant une douzaine d'heures après la fin de celle-ci, ce qui a permis d'éviter tout analgésique chez ces malades pendant les vingt-quatre heures postopératoires. Ils gardent un souvenir vague « effacé et ouaté » de cette période. La plupart ont dormi sans aucun médicament la nuit suivant l'opération, fait exceptionnel.

Conclusion des médecins français : l'anesthésie électromédicamenteuse est possible pour des interventions importantes et de longue durée ; elle permet (c'est un de ses avantages majeurs) d'assurer à l'opéré une période postopératoire de qualité.

Victoires sur la douleur

Coup sur coup (le 4 octobre 1972 à Nantes, le 10 octobre à Dijon), deux malades, un homme et une femme qui souffraient depuis plusieurs années de douleurs incoercibles causées par une maladie rebelle à toute thérapeutique, ont été appareillés d'un stimulateur électronique implanté au contact de la moelle épinière. Cet appareil peut court-circuiter la sensation de douleur à la demande du patient.

Environ 1 200 de ces implantations ont déjà été réalisées, dont une trentaine en Europe (vingt en Allemagne). Le malade de Dijon, opéré par le docteur Thierry, constitue la première réalisation française (c'est le chirurgien américain Friedman qui a opéré à Nantes).

Cette nouvelle technique d'électro-analgésie permanente, c'est-à-dire de suppression, à la commande, de douleurs intraitables, constitue l'apport le plus intéressant de ces dernières années dans le domaine si difficile de la suppression de la douleur par d'autres voies que les médicaments ou la chirurgie directe des nerfs, qui conservent néanmoins leurs indications précises.

Blocage

Approximativement, on peut dire que la méthode repose sur la théorie de la porte, établie par les neurophysiologistes américains Melzac et Wall.

Partant de la constatation expérimentale que le cheminement de la douleur à travers la moelle épinière se fait par certaines fibres, alors que la stimulation d'autres fibres de la moelle n'est pas douloureuse, les deux chercheurs en déduisirent que ce mécanisme agit normalement comme une porte équilibrant les signaux douleur et non-douleur.

La conclusion pratique tirée par les deux physiologistes, Wall et Sweet, peut ainsi se résumer : à la porte d'entrée de la douleur, il doit être possible de substituer à la sensation douloureuse cheminant par certaines fibres une stimulation des autres, afin d'annuler l'information douloureuse. Plus familièrement, la sensation est bloquée avant qu'elle parvienne au cerveau.

Implantation

Le neurochirurgien Norman Shealy (clinique Gundersen à La Crosse, Wisconsin), après avoir repéré les meilleurs emplacements sur la moelle épinière pour stimuler sélectivement les fibres antidouleur, met au point, après sept ans d'études expérimentales sur le singe, l'appareil électronique dont s'inspirent aujourd'hui les stimulateurs antidouleur. En 1967, les premières implantations sont effectuées chez l'homme.

L'appareillage comprend une unité implantée chirurgicalement à l'intérieur du corps du patient. Elle est constituée par une ou deux électrodes de platine iridié placées sur la moelle épinière elle-même, après incision de son enveloppe protectrice (l'arachnoïde), puis reliées dans un trajet sous-cutané à un récepteur placé sous la peau.

Le récepteur est un circuit électronique passif comportant une antenne de cuivre. À l'extérieur de son corps, le malade porte un émetteur à piles de 0,5 volt (taille d'une boîte d'allumettes moyenne), auquel est reliée une antenne qui viendra s'appliquer à l'endroit du récepteur. Une douleur survient-elle ? Le patient règle lui-même son émetteur et envoie, par l'intermédiaire de l'antenne, un courant électrique de faible intensité qui, à travers la peau, sera transmis au récepteur. Celui-ci en assure le cheminement jusqu'à l'électrode de stimulation de la moelle épinière.

Indications

Quelles sont les indications préférentielles d'un pareil traitement ? Les douleurs discales, certaines sciatiques d'origine discale, les douleurs fantômes survenant après amputation (les patients ont mal à l'endroit du membre absent), celles qui sont consécutives aux lésions de la moelle épinière par écrasement (accidents), aux blessures (surtout par armes à feu), les douleurs du plexus brachial ou lombo-sacré, les douleurs occasionnées par certains cancers, certaines douleurs des nerfs sensoriels, certaines affections arthritiques chroniques, certaines arachnoïdites.