Il reste que, lorsque les discussions s'ouvrent fin 1971 dans la plupart des entreprises publiques, les syndicats gardent le souvenir de l'échec de la grève des conducteurs du métro à l'automne.

Lancée par les autonomes à propos d'un problème limité aux seuls roulants (une modification de la grille des rémunérations), la grève, mal accueillie par l'opinion, désavouée par la CFDT, soutenue du bout des lèvres par la CGT, tourne finalement court à la suite d'un appel télévisé de J. Chaban-Delmas.

Au total, le bilan de l'agitation dans le secteur public est maigre : une mini-grève à l'EDF le 17 mai 1972 à propos d'une révision de la grille des salaires, des mouvements constants d'agitation aux PTT, quelques débrayages à Air France en mai et une participation inégale à la journée de grève nationale du 7 juin organisée par la seule CGT (moins de 10 % de grévistes chez Renault, pratiquement rien chez les fonctionnaires, mais un secteur plus dur, la SNCF, où la CGT exerce une grande influence, particulièrement dans le Sud-Est).

Au total, après deux ans et demi d'application, la politique contractuelle du Premier ministre et de son conseiller social Jacques Delors a subi diverses vicissitudes ; les discussions ont pris des allures apparemment très diverses d'un secteur à l'autre. Les rémunérations d'un bloc de deux millions et demi de salariés ont été contenues dans les mêmes limites, même si ces lisières ont été élargies sous la pression syndicale.

Secteur privé

Les journées nationales d'action ne doivent pas faire illusion : le 1er décembre, à l'initiative de la CGT et de la CFDT, pour obtenir la retraite à 60 ans ; le 20 mars, dans la métallurgie ; le 22 mars « pour les libertés, contre la répression et les provocations » ; le 7 juin dans l'ensemble des professions, à l'appel de la seule CGT, et le 23 juin sur l'initiative de la CFDT et de la CGT. C'est dans l'entreprise que se localise l'action revendicative. Comme le constate un observateur britannique, E. H. Phelps-Brown, le « pouvoir a glissé vers l'atelier » : le groupe de travail jouit maintenant d'une autonomie beaucoup plus grande dans presque toute l'industrie. Aussi l'agitation sociale s'est-elle pour une bonne part provincialisée et presque désindustrialisée : les conflits ne sont plus le seul fait des grandes concentrations industrielles.

Deux faits caractérisent effectivement les conflits sociaux en 1971-72 :
– l'émiettement : tous les secteurs, toutes les régions sont touchés, et notamment les secteurs classiques de l'industrie (Peugeot à Mulhouse, Delle-Alsthom à Saint-Ouen, les Forges de Crans), le tertiaire (les Nouvelles Galeries de Thionville, le Crédit agricole d'Albi, l'hôtellerie à Nice), l'Ouest agricole (les laiteries Besnier dans l'Orne, Michelin à Cholet, les établissements Paris à Nantes, le Joint français à Saint-Brieuc), l'Est (Controls France à Schirmeck, Armeco à Kingerstein), le Sud-Est (Zig-Zag à Thonon, Reynolds à Valence).
– la spontanéité : les inorganisés, souvent des OS, sont à l'origine des conflits ; chez Penarroya, chez Zig-Zag, chez Girosteel (Le Bourget) les conflits démarrent en dehors d'une stratégie directe des syndicats. Et, paradoxalement, c'est la CFDT, pourtant moins implantée que la CGT dans les entreprises, qui s'efforce d'encadrer les conflits.

Significatifs sont les motifs qui incitent les salariés à utiliser une arme aussi coûteuse pour les grévistes que pour les employeurs. Quatre raisons principales peuvent être retenues : certains conflits ont porté sur le maintien et la progression du pouvoir d'achat, avec, dans certaines usines, des revendications pour des augmentations non hiérarchisées ; d'autres ont mis en avant la contestation des cadences et souligné la nécessité de réexaminer les conditions de travail des OS ; d'autres encore ont eu, comme but principal ou unique, la défense du droit syndical et la réintégration des délégués licenciés ; d'autres enfin ont éclaté à l'annonce des licenciements et des compressions d'effectifs.