Relations sociales

Une année paradoxale

La grève du Joint français, l'accord sur la réduction du temps de travail dans la métallurgie, des grèves souvent longues et dures, mais un réseau de plus en plus dense de négociations. Ces visages contrastés des relations professionnelles ne marquent pas un absurde dérèglement du système français. Ils sont même complémentaires. Lorsque les négociations ne sont plus formelles et deviennent des confrontations cartes sur table, les conflits sont plus durs et vont jusqu'à mettre en jeu la vie de l'entreprise.

L'insolite vient de ce que depuis 1968 les anciennes habitudes sont rompues. Il n'y a plus de rentrée sociale ; l'agitation est diffuse, constante, imprévisible et difficilement contrôlée par les états-majors. Les grands défilés de la Bastille à la République ne constituent plus les temps forts d'une action revendicative éclatée géographiquement et professionnellement. Les aristocrates de la classe ouvrière, les professionnels à 404 des secteurs de pointe ne sont plus l'avant-garde révolutionnaire chantée par les sociologues de la nouvelle classe ouvrière : en vrac, les employées des Nouvelles Galeries, les immigrés et les OS de chez Penarroya ou de Girosteel, les ouvriers paysans des laiteries Besnier se retrouvent à la tête du combat social.

Les salariés ne sont plus toujours au cœur du combat social. Aux frontières des professions libérales, les journalistes de Paris Jour et de Paris Normandie se battent à la fois contre la modernisation, les concentrations et pour la liberté d'expression. Les artisans et commerçants, nouveaux pauvres de la société industrielle, monnayent leur survie dans la violence.

À l'arrière-plan, pêle-mêle, médecins, avocats et avoués, agriculteurs entretiennent une agitation diffuse. Prodromes de la naissance difficile d'une nouvelle société ou prélude à une nouvelle crise sociale majeure, ces images ne sont assurément pas sans ambiguïtés. La France est peut-être morose ; elle est sûrement inquiète et prête une oreille attentive aux chants insolites de ces étranges technocrates qui conseillent l'arrêt de la croissance.

La nouvelle bourse du travail

Le projet de la nouvelle Bourse du travail de Paris a été accepté par tous les syndicats. Dessiné par les architectes Ph. Cardin et Y. Lamouche, ce bâtiment en forme d'escalier tournant sera construit dans le XIXe arrondissement, à l'angle de l'avenue Jean-Jaurès et de la rue Bouret.

Secteur public

Le paradoxe est évident dans le secteur public : moins d'accords que l'année précédente, mais aussi moins de grèves. Globalement le bilan est simple : accords dans la fonction publique et à l'EDF-GDF, demi-accords aux Charbonnages et à la RATP où CGT et CFDT refusent finalement leur signature après avoir participé aux discussions, désaccords à la SNCF et chez Renault.

Partout CGT et CFDT ne cachent pas leur volonté de refuser la politique des contrats inventée par le gouvernement, mais partout aussi les états-majors jouent la modération : en déclenchant des mouvements de grève massifs, les syndicats auraient pris le risque de se voir imputer la responsabilité de l'échec des négociations. En s'abstenant de le faire, tout en refusant de signer les contrats, ils peuvent tenter de rejeter devant l'opinion cette responsabilité sur les directions et le gouvernement, aux prises avec leurs problèmes économiques.

Loin d'être gratuite, leur sagesse est donc très calculée. On peut penser ainsi que les dirigeants syndicaux, conscients de la situation, veulent éviter de créer par des arrêts de travail prolongés une crise des nationalisations dont ils défendent le principe, et une crise de l'emploi dont leurs adhérents feraient les frais. Pouvaient-ils aussi mobiliser leurs troupes sur la retraite à 60 ans, alors que la plupart des agents des entreprises nationalisées (Charbonnages, RATP, SNCF) peuvent bénéficier de la retraite à 55 ans, ou sur le SMIC à 1 000 F alors que cette somme ne concerne pratiquement plus personne dans les grandes entreprises publiques ? (Renault devait, d'ailleurs, décider de faire passer le salaire minimum à 1 500 F, à la fin juin 1972.)