Les vedettes sont d'ailleurs pour l'essentiel dans ces succès faciles. Plus que l'histoire assez convenue d'une ancienne chanteuse saisie par le démon du come-back, c'est la performance de Jacqueline Maillan qui a sans doute attiré le public de Folle Amanda, de même que les crises d'hystérie stupéfiantes de Louis de Funès, véritable phénomène comique, auront seules assuré à la reprise d'Oscar, au Palais-Royal, cet accueil triomphal de fans extasiés.

Les classiques à l'honneur

Mais la grande surprise, dans le domaine du divertissement, est un académicien mort en 1881 ; il s'appelle Eugène Labiche. Sans être une de ses œuvres maîtresses, La station Champ-baudet, servie par les comédiens-français qui sont incomparables dans ces exercices de virtuosité comique, prouve que sa technique du rire demeure inusable. Avec la mise en scène très classique de Jean-Laurent Cochet, on est loin du Labiche gauchi et contestataire, tel que l'adapte l'adroit Jean-Pierre Vincent dans La cagnotte ; la tradition n'en garde pas moins ses vertus, et le bourgeois en sort tout aussi cruellement caricaturé, sans acrobaties brechtiennes...

Pour ne pas quitter la Comédie-Française, on pourrait dire également que le dramaturge le plus puissant, la découverte de l'année, n'est pas davantage un contemporain, ni un compatriote, du reste : il s'agit de Shakespeare, une fois de plus. Admirablement adapté par Jean-Louis Curtis, qui a su transposer toute la gamme de son langage, depuis la violence, la rudesse même, jusqu'aux préciosités les plus gongoriques, ce fut une révélation que ce Richard III, mis en scène par l'Anglais Terry Hands. Grâce à lui, moins pétri de respect que les Français devant un classique familier, la pièce gardait une extraordinaire humanité où l'horreur sanglante rejoignait la parade foraine aussi bien qu'un poignant désespoir. Tenu, maîtrisé, subjugué, le Robert Hirsch des grands soirs a retrouvé là le ton et l'ampleur de ses plus mémorables interprétations, comme celle de George Dandin ou de Crime et châtiment.

Il n'en allait pas de même avec Becket, métamorphosé par son interprétation épileptique en une longue scène de ménage opposant le roi Henri à son archevêque trop intègre. Jean Anouilh, enfin accueilli sur une scène officielle, souhaitait-il vraiment ce festival de grimaces pour saluer son entrée au Français ? Il est vrai qu'il a toujours aimé la provocation.

Autre gloire nationale, Eugène Ionesco, au petit théâtre de l'Alliance française, nous a proposé une création narquoise, une sorte de tragédie bouffe d'après Shakespeare : Macbett. Farce énorme sur un thème noir — l'ignominie impitoyable de la course au pouvoir —, cette parodie fait preuve d'une verve et d'un entrain qui justifient son succès, sans atteindre toutefois à l'ironie superbe (et sinistre) du Roi se meurt, auquel souvent elle nous ramène.

Quant à René de Obaldia, ancien avant-gardiste de plus en plus consacré, ses deux actes donnés à L'Œuvre, La baby-sitter et Une femme entre deux fantômes, furent de réjouissantes démonstrations de brio comique, où l'esprit du Boulevard affleure parfois sous la fantaisie poétique et le délire verbal. Évolution naturelle, qu'il lui faudra cependant surveiller s'il veut rester fidèle à lui-même, malgré les encouragements et les rires d'un nouveau public, peut-être un peu trop facile à contenter.

Dans quelle catégorie doit-on ranger certains Anglo-Saxons, qui forment le gros de nos importations dramatiques ? Adapté par Françoise Sagan, le Tennessee Williams de Doux oiseau de jeunesse volait manifestement vers un théâtre déjà vieillot, offrant aux comédiens des rôles pour monstres sacrés où Edwige Feuillère était tout à fait à sa place. Mais il faut de ces divas — de plus en plus rares — pour imposer encore une pareille outrance, appelée à se démoder aussi vite que les éclats d'Henry Bataille ou les drames de Bernstein.

On s'est aperçu également que les pièces démonstratives d'Arthur Miller — sur le racisme nazi, cette fois — ne résistaient guère mieux à l'usure des années que les œuvres-vérité comme celle d'Arnold Wesker, Des frites, des frites, des frites, qui installait à Chaillot, sous prétexte d'un conflit de classe très schématique, l'atmosphère pesante et disciplinée d'un camp militaire britannique.

Des révélations

Plus neuve fut l'apparition de quelques auteurs encore inconnus en France, à deux exceptions près. Le premier, Edward Bond, a été fort mal accueilli, il y a deux ans, quand Georges Wilson et Maria Casarès ont créé à Avignon son Early morning. Sauvés, à la salle Gémier, a provoqué de nouveau l'indignation de plusieurs critiques. Réaliste jusqu'à l'insupportable dans son misérabilisme féroce, c'était cependant une pièce très forte, et qui méritait mieux que cette froideur incompréhensive, car Bond est, sans doute possible, l'un des maîtres du théâtre anglais d'aujourd'hui.