C'est ainsi qu'un Brecht posthume, assez médiocre il faut le dire (Turandot, à l'ex-TNP), n'a pas fait le plein du palais de Chaillot, alors que d'ordinaire le dramaturge berlinois promet une audience nombreuse et inconditionnelle.

Alors que Ne réveillez pas Madame poursuivait sa carrière sans histoire, comment se douter aussi qu'une nouvelle pièce de Jean Anouilh serait un four ? Tu étais si gentil quand tu étais petit — il faut comprendre ce titre en toute ironie — avait cependant les qualités ordinaires de ce bon faiseur. Mais les spectateurs ne l'ont pas suivi dans ce règlement de comptes avec l'enfance, plus aigre que féroce, et qui poussait jusqu'à la caricature les vertus acides d'un tempérament hors du commun. Dans un autre genre — celui du tape-à-l'œil — et malgré une belle mise en scène de Jorge Lavelli le Bella Ciao d'Arrabal n'a pas mieux réussi à rassembler les gogos d'une fausse avant-garde. Il devient plus difficile d'imposer la prétention et le désordre vain sous le couvert d'une audace imaginaire.

De même, à présent, tout ce qui vient des États-Unis n'est plus assuré d'être accueilli comme le fin du fin de la nouveauté. Pierre Cardin, dans son Espace transformé pour la circonstance, en a fait l'expérience avec le Liquid Theatre, annoncé à grand fracas comme la merveille de ce printemps. En fait, cette farandole tenait plutôt du grand jeu scout, et le public ne s'y est pas trompé.

Du reste, ce sont les bons sentiments qui semblent la denrée d'exportation favorite des Américains cette année. Finies les païennes outrances de Hair ; on les remplace par les aimables cantiques de Godspell, simplette adaptation de l'Évangile qui attire à la porte Saint-Martin des foules bien-pensantes, avec l'impression d'y retrouver le pur esprit des catacombes. Encore faut-il bien choisir les saints auxquels on se voue, dans le domaine du spectacle, car Jesus-Christ superstar, en dépit d'un matraquage publicitaire exceptionnel, a vite sombré dans le néant sulpicien de son insignifiance, alors qu'il avait tous les atouts pour gagner la partie. Il reste au théâtre une part de mystère qui le fait miraculeusement échapper aux calculs des marchands du temple...

Triumvirat au TNP

La saison 1971 s'est achevée, en juin, par la mort subite de Jean Vilar, à la veille du 25e festival d'Avignon ; celle de 1972 se termine par la nomination d'un triumvirat à la tête d'un TNP décentralisé. On est tenté de voir dans cette coïncidence un signe et un symbole. Mais il est certain aussi qu'après vingt ans d'exercice il était temps de changer la formule.

Désormais, le Théâtre national populaire aura son siège à Villeurbanne, d'où ses spectacles rayonneront sur la France entière, à travers les différentes maisons de la culture qui les accueilleront.

Des trois directeurs, Roger Planchon est l'homme de théâtre le plus consacré ; on connaît son œuvre de metteur en scène brechtien, son style solide, inventif, mais on connaît peut-être moins bien ses pièces, auxquelles il attache pourtant autant d'importance qu'à ses spectacles. C'est un patron sûr de lui, autoritaire, combatif, posé, qui sait composer s'il le faut avec les nécessités pour parvenir à ses fins. À ses côtés, le jeune Patrice Chéreau, créateur impulsif, esthète et marxisant à la fois (ce qui ne va pas sans contradictions), apporte dans l'association son goût très italien du faste et du grand opéra, son penchant pour la provocation que balanceront heureusement le caractère plus retenu de Roger Planchon ainsi que la présence de Roger Gilbert, à qui revient la charge d'administrer cette pesante machine.

À Paris, c'est le Lorrain Jack Lang que Jacques Duhamel, ministre des Affaires culturelles, a choisi pour succéder à Georges Wilson sur l'immense vaisseau rebaptisé Théâtre national du palais de Chaillot. Très jeune lui aussi, ce professeur de droit fort actif, passionné, ambitieux, n'est évidemment pas un homme de théâtre, mais un découvreur de talents qui a fourni ses preuves au festival de Nancy, dont il est le fondateur. Il se propose de transformer Chaillot en un centre de création où toutes les disciplines artistiques concourront à faire naître du neuf. En somme, c'est un pari plutôt qu'un projet. Mais il n'y a pas de vrai changement sans un vrai risque.

Des succès faciles

Avec le Boulevard, toutefois, ce n'est plus du mystère, c'est de la mécanique. Celle du vaudeville, parfois revue à l'anglaise, reste efficace sur un certain public, comme en témoignent les belles recettes de La main passe, de Rendez-vous au Plaza, du Tombeur, avec Michel Serreau, savoureux ahuri, ou du Saut du lit, plus Feydeau que nature, mais agrémenté de l'apparition ionesquienne et saugrenue de Tsilla Chelton.