Il partage bien entendu cette suprématie avec Harold Pinter, beaucoup mieux compris dans notre pays. Mais il faut remarquer toutefois que C'était hier, musique de chambre insolite plus qu'à l'ordinaire, avec des mystères brumeux et des silences lourds de doubles sens, a quelque peu interloqué le public parisien. Il aura fallu tout le charme chuintant de Delphine Seyrig pour tenir à bout de talent cette œuvre impalpable, aux limites de l'inexistence.

Il n'en allait pas de même avec Joe Orton, l'auteur assassiné du Locataire, qui ne pratiquait pas le sous-entendu sophistiqué, mais savait dessiner une virulente critique sociale et morale derrière des situations scabreuses. Il s'agit chez Orton d'un Boulevard perverti, vicié, qui nous a valu de voir une étonnante Madeleine Robinson en savates, disputant à son frère les faveurs d'un fringant jeune homme...

La présence de Laurent Terzieff n'aura pas été pour peu non plus dans l'intérêt qu'a suscité, à l'Atelier, la pièce de Bernard Kops, David, la nuit tombe, où il trouvait un rôle dostoïevskien à la mesure de son talent passionné. Traitant à la fois du racisme et de la création, cette œuvre un rien dogmatique avait néanmoins le charme de sa sincérité, et Kops pourrait être un nom familier qui s'ajouterait sur la liste des Anglo-Saxons adoptés par les Français.

Reste, avec Peter Nichols, dont les trois actes semi-autobiographiques (Ne m'oubliez pas) n'atteignaient pas l'intensité poignante et merveilleuse de Joe Egg, le cas du Canadien John Herbert, autre inconnu pour nous. Par le sujet — l'avilissement engendré par la vie en commun dans une cellule de prison — et par le style — qui recourt honnêtement aux moyens les plus éprouvés —, Hommes n'apportait rien de vraiment neuf au théâtre. Mais l'auteur a su aborder ici sans détours le problème de l'homosexualité, alors qu'il demeure trop souvent le thème favori de la farce sans nuance — type Pauvre France, toujours à l'affiche depuis deux ans — ou celui du mélo sentimental comme Les garçons de la bande. Pour une fois, il s'agissait d'un drame humain, traité comme tel, sans complaisance excessive, avec les yeux ouverts sur une réalité.

Chez les Français, il n'est apparu que peu d'auteurs nouveaux dignes d'intérêt. Et encore s'agissait-il de jeunes déjà connus, dont le talent s'affirme avant d'assurer une relève difficile.

Un esprit de contestation

Ils ne se ressemblent guère, mais ils ont un trait commun : la volonté d'utiliser le théâtre à des fins satiriques, pour servir un certain esprit de contestation ou de critique sociale et historique. L'ère de l'absurde semble définitivement enterrée.

Jean-Claude Grumberg a eu la chance d'être fastueusement représenté à l'Odéon, dans une mise en scène de Jean-Paul Roussillon, et avec les comédiens de la salle Richelieu. Amorphe d'Ottenburg, parabole guignolesque illustrant la cruauté des tyrannies ainsi que la bassesse humiliée de leurs serviteurs, ne méritait peut-être pas ce grand train somptueux qui l'écrasait sans la mettre en valeur. Auteur grinçant, Grumberg est plus à son aise dans la satire du quotidien ; elle convient mieux à son ton, incisif, précis, féroce parfois.

René Ehni, dont on n'a pas oublié le brio sarcastique et les roueries habiles (Que ferez-vous en novembre ?) a donné au printemps, chez Pierre Cardin, une pièce de dérision lyrique, Eugénie Kopronime, où la civilisation occidentale et ses valeurs creuses en prenaient pour leur décadence. Ce fut un divertissement plus séduisant que profond, d'une motivation assez confuse, mais on y a trouvé l'aisance d'une nature exceptionnelle et un beau rôle écrasant comme les aime — et les défend — la féline Judith Magre. Serge Rezvani, enfin, qu'on savait peintre et romancier, représente peut-être la seule révélation véritable de cette saison, avec ses deux pièces, Capitaine Schelle, capitaine Eçço à la salle Gémier et Le rémora au petit Odéon.

Qu'il transpose l'existence d'un couple bohême et sa difficulté d'être de gauche, comme dans la seconde, ou qu'il compose une tragédie-farce dont les héros sont les vedettes milliardaires — à peine masquées — des magazines à sensation, il s'agit toujours de dénoncer, avec une virulence bienvenue, les tares du monde hypocrite où nous vivons. Mais il faut dire aussi que Capitaine Schelle a eu la chance d'être mis en scène par Jean-Pierre Vincent, dans un style où l'esthétisme repose sur un rigoureux système de pensée qui n'est jamais en défaut : un modèle d'intelligence et de réussite, en tous points.

Le metteur en scène-vedette

À cet égard, il faut remarquer la part croissante du metteur en scène dans la conception des spectacles. C'est à lui de plus en plus que revient l'originalité, l'invention, la richesse qui font la valeur d'une soirée, parfois au détriment de l'œuvre, réduite à l'état de prétexte ou d'exercice.