Tandis que Romain Bouteille, quittant pour un temps le café de la Gare, risquait l'aventure inverse en montant au Théâtre de poche une petite pièce farfelue de son invention, Le soir des diplomates, Rufus, après avoir joué à Aubervilliers une intéressante fable du Tchèque Pavel Kohout, Auguste, Auguste, Auguste, a gagné ses galons de vedette à part entière. Avec ses 300 dernières, sa valise vide et son éternel sourire de timide, il a réussi à remplir seul la vaste salle de Bobino, sans renier la qualité très particulière de son imagination ni celle de son poétique humour.

Ce goût du spectacle à un seul personnage — c'est en soi la négation de l'art dramatique — marque bien, une fois de plus, la crise d'un théâtre qui hésite entre la pauvreté aride, abstraite, et les coûteuses recherches d'une sophistication excessive. N'est-ce pas, indirectement, faire le jeu du Boulevard, divertissement sans problème, et favoriser le retour au classicisme rassurant d'une Comédie-Française intelligemment dirigée ?

Cinéma

De la contestation à la réflexion

Une saison riche en œuvres de grande valeur, au nombre desquelles il faut tout de suite citer Roma de Fellini, Orange mécanique de Kubrick, L'affaire Mattei de Rosi, Frenzy d'Hitchcock, Amour de Makk, Rendez-vous à Bray d'André Delvaux. Mais également une saison catastrophique pour le cinéma français, qui apparaît anémique, tandis qu'un peu partout dans le monde s'élaborent des films structurés, dignes reflets d'une époque écartelée devant la contagion de la violence, la rapacité des puissants, la lutte entre opprimés et oppresseurs. Du cinéma de contestation, on semble glisser vers un cinéma de réflexion. Un cinéma responsable, qui tente de réconcilier l'artiste et le témoin, l'aventurier et le militant. Le septième art devient un kaléidoscope qui rend compte des différents regards posés sur la société. Film politique ne signifie pas toujours film sur la politique. Mais il semble de plus en plus difficile de ne pas se laisser guider par les pulsations économiques et politiques du monde. Le film romanesque n'est pas mort, mais il s'appuie de plus en plus sur un contexte social, sorte d'échafaudage dont l'œuvre d'art semble ne plus pouvoir se passer. Le film oublie de raconter une histoire : il s'insère dans l'Histoire. Les exceptions (le film d'Hitchcock en est le plus brillant exemple) ne font dès lors que confirmer la règle.

Statistiques 1971

– 127 films, dont 67 sont 100 % français et 35 des coproductions à majorité française.

– Nombre de spectateurs en millions : 174,9 (contre 184,4 — chiffre définitif de l'année 1970 — c'est-à-dire une diminution de 4,48 %).

– Nombre de spectateurs à Paris dans les salles d'exclusivité : 57,35 %, et dans les salles de quartier : 42,65 %.

– Répartition du goût du public selon la nationalité du film présenté : films français, 52,97 % ; films américains, 24,82 % ; films italiens, 8,93 % ; films britanniques, 5,45 % ; films divers, 7,83 %.

– Nombre des salles classées Art et Essai au 1er janvier 1972 : 373.

– Fréquentation cinématographique moyenne annuelle pour chaque Français : 3,4 (pour une population de 51,250 millions d'habitants).

France

La saison 1971-72 est à marquer d'une pierre noire pour l'ensemble du cinéma français. Quelques succès flatteurs au box-office ne suffisent pas à masquer l'indigence qualitative de la majorité des films présentés. Accuser le système, les structures, les réseaux de distribution, c'est s'abriter derrière mille excuses valables ; c'est aussi chercher l'acquittement à bon compte. Si le jeune cinéma tout en se plaignant de son ghetto fait tout pour en consolider les murs, le cinéma dit commercial ressemble de plus en plus à un vaste self-service. Il faut espérer que le Waterloo des films français à Cannes servira tout de même d'utile leçon.

Plus que La folie des grandeurs de Gérard Oury — qui s'était assuré le concours de Louis de Funès et d'Yves Montand — ou Le casse d'Henri Verneuil (avec Jean-Paul Belmondo), deux films dont on prévoyait le succès, c'est sans doute Les bidasses en folie de Claude Zidi qui marquera la saison cinématographique. Réalisée sans aucune prétention, cette modeste entreprise a révélé un groupe de comiques, les Charlots, que certains, apparemment peu cinéphiles, ont voulu comparer aux Marx Brothers. Mais une constatation s'impose : le public reste étonnamment friand de films comiques. Après avoir mis de Funès sur un piédestal, il est prêt à accueillir avec sympathie toutes les entreprises de délassement si inabouties soient-elles (Le viager de Pierre Tchernia ou Les malheurs d'Alfred de Pierre Richard), si vulgaires soient-elles (Le drapeau noir flotte sur la marmite de Michel Audiard). Parmi les autres succès commerciaux, il faut signaler tout particulièrement une adaptation honnête de Simenon par Pierre Granier-Deferre (La veuve Couderc), une pochade divertissante de Georges Lautner (Il était une fois un flic), la chronique aigre-douce que Maurice Pialat a consacrée dans Nous ne vieillirons pas ensemble à la vie quotidienne (et tumultueuse) d'un couple très ordinaire.