Car rien n'est plus sot que d'assimiler l'art de Picasso à l'abstraction. Rien n'est moins abstrait, rien n'est plus expressif que cette œuvre qui rompt parfois avec l'observation naturaliste, mais ne cesse jamais de signifier un monde vu et vécu. Il faut se rendre compte à ce propos des répercussions que les événements privés ou les conflits publics ont pu avoir sur Picasso tout au long de sa création. On n'est pas prêt d'oublier, en particulier, les tableaux de Guernica, composés en 1937 à la suite du bombardement allemand de la petite ville basque. Il en est de même pour l'alternance des périodes tendres et romantiques ou violentes et brutales qui traduisent l'état d'esprit de l'artiste.

Foncièrement attaché à son pays natal, Picasso n'a cessé de continuer la grande tradition des peintres espagnols, même s'il a toujours atteint le domaine privilégié d'une peinture universelle. On retrouve en lui le caractère farouche, grave, éloquent, teinté parfois d'humour, de ses concitoyens. Mais ce qui domine finalement en lui, c'est la force, une force invincible dans la création, dans la rupture des formes traditionnelles et leur recomposition au gré d'une liberté qui ne s'est jamais laissé endiguer par quelque convention que ce fût.

Et c'est par là que Picasso s'est toujours imposé aux foules. Que ce soit à leur admiration ou à leur désapprobation. Personne n'est jamais resté indifférent devant cette force. Et aujourd'hui où nous pouvons jeter un regard d'ensemble sur l'œuvre de Picasso, plus que jamais il nous apparaît indissociable, avec des qualités et des défauts solidaires les uns des autres ; plus que jamais l'homme est apparu à travers la peinture, dans ses contradictions, ses moments de tendresse, ses colères, ses indignations, sa révolte même devant les résistances qui lui sont opposées en art comme dans la vie. Il faut l'admettre tel qu'il est et ne pas faire de détail avec un créateur qui s'est toujours situé en avant, contre vents et marées.

« Énorme flamme », disait de lui Guillaume Apollinaire dès 1913. Et Picasso de griffonner sur un carnet en date du 27 mars 1963 : « La peinture est plus forte que moi, elle me fait faire ce qu'elle veut. »

Un phénomène étonnant par son ampleur et sa nouveauté : le grand public s'est précipité, cette année, aux grandes rétrospectives. Les 347 612 entrées en huit mois de la collection Guillaume-Walter ont rapidement fait piètre figure ; Vermeer accueillait 317 702 personnes, mais en neuf semaines seulement, Picasso 603 132 en trois mois, et Bonnard 205 366 en un mois. Les files d'attente à l'extérieur, 5 000 à 7 000 visiteurs par demi-journée devant le Petit Palais, pour l'exposition Toutankhamon (qui fermait en juillet), ont été les records. Cette ruée vers l'art traduit-elle le désir d'avoir vu ou celui de voir ?

Toutankhamon et son temps
(Février - juillet, Petit Palais)

Dix mille personnes par jour ont accepté pendant près de six mois d'attendre souvent plusieurs heures pour pénétrer dans la reconstitution suggérée du tombeau de Toutankhamon et d'y découvrir son trésor. Peu d'expositions auront, en France, suscité jusqu'à ce jour autant d'intérêt.

C'est en 1922 que l'archéologue Carter décida de poursuivre une année encore des recherches infructueuses jusque-là, qu'il avait menées en Égypte pour retrouver le tombeau d'un certain Toutankhamon, sur lequel on possédait peu de renseignements. Le 4 novembre, dans le seul endroit qui n'avait pas encore été prospecté, Carter mit au jour la première des seize marches qui descendaient dans la tombe. Faisant percer quelques jours plus tard l'ouverture maçonnée au bas de l'escalier, il découvrit le plus extraordinaire trésor que l'on pouvait imaginer. Il lui fallut environ dix ans pour cataloguer et restaurer, puis transporter au musée du Caire les quelque 2 000 objets découverts.

Une cinquantaine d'œuvres parmi les plus exceptionnelles ont été transportées au Petit Palais ; reliques datant de plus de trois mille ans, sculptures funéraires, meubles, bijoux, armes, objets d'usage quotidien forment un prestigieux ensemble. S'il est besoin, pour déchiffrer les nombreux symboles de cet art, d'avoir certaines connaissances égyptologiques, en revanche, on peut se laisser aller au plaisir esthétique de la contemplation devant des œuvres où l'élégance et la noblesse, tout comme la richesse, vont de pair avec une grande simplicité.

Bonnard (13 janvier - 15 avril, Orangerie)

Le centenaire de la naissance de Bonnard a été dignement célébré en France par trois importantes expositions. La première était une rétrospective à l'Orangerie ; la seconde réunissait quelques toiles sélectionnées à la Galerie Bernheim Jeune ; la troisième rendait hommage au peintre par un choix de tableaux remarquables, dont plusieurs inconnus en France, au musée Cantini, de Marseille.