qualité

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin qualitas, calqué sur le grec poiôters.

Philosophie Antique

Néologisme forgé par Platon et adopté par Aristote pour nommer l'une de ses catégories(1).

La qualité est « ce en fonction de quoi certains sont qualifiés »(2). Elle se dit en plusieurs acceptions : état et disposition en sont une première espèce de la qualité, le premier plus durable et plus stable, comme les connaissances et les vertus, la seconde passagère, comme la maladie et la santé. Qualité est aussi une puissance ou une impuissance naturelle, d'après laquelle on parle par exemple de coureurs, ou de bien portants. Les « qualités affectives » (pathetikai) et les « affections » (pathe) constituent un troisième genre de qualité, par exemple la douceur, ou l'amertume : les items qui les reçoivent sont qualifiés en fonction d'elles ; ainsi, on dit que le miel est doux parce qu'il a reçu la douceur. On parle de qualités affectives lorsque les effets subis engagent des modifications stables, et simplement d'« affections » (pathe), lorsqu'elles sont passagères. Un quatrième genre de qualité consiste dans la figure et la forme qui appartiennent à chaque item, tels le droit, le courbe etc. Il y a de la contrariété en fonction du qualifié, et la plupart des qualifiés admettent également le plus et le moins. Mais le propre de la qualité est le fait que le semblable et le dissemblable se disent en fonction d'elle.

Curieusement, le fait que les qualités aient des contraires et qu'elles admettent des degrés n'empêche pas Aristote d'écrire que les substances secondes, à savoir le genre et l'espèce, « signifient quelque chose de qualitatif »(3). Pourtant, pas plus qu'on ne peut être plus ou moins Socrate, on n'est plus ou moins homme ou animal ; de même, il n'y a pas plus de contraire à « homme » ou à « animal » qu'à Socrate. Le fait qu'à la différence de la substance première (le ceci individuel), les substances secondes constituent des prédicats est probablement ce qui pousse Aristote à les rapprocher des qualités : si la qualité est ce en fonction de quoi une chose est dite telle, la qualification d'homme pour Socrate semble rentrer sous cette définition. Toutefois, à la différence du blanc, qualitatif en quelque sorte à l'état pur, mentalement isolable de son substrat, l'espèce et le genre ne sont pas pensables sans référence à une substance première : ils signifient une certaine substance qualifiée.(4)

Les stoïciens conservent la qualité comme l'une des quatre rubriques de l'interrogation catégoriale, avec le substrat, la manière d'être et la manière d'être relative. Ils la conçoivent toutefois comme un corps et distinguent entre qualité propre, qui définit la singularité d'un corps, et que signifie son « nom » (onoma) – par exemple Socrate –, et qualité commune, que signifie l'« appellatif » (prosegoria) – par exemple homme. Le traitement stoïcien de la qualité participe d'une critique des universaux(5).

Frédérique Ildefonse

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, Théétète, 182a.
  • 2 ↑ Aristote, Catégories, 8, 8 b 25.
  • 3 ↑ Id., 5, 3 b 15-16.
  • 4 ↑ Id., 5, 3 b 18-21.
  • 5 ↑ A.A. Long & D.N. Sedley, Les Philosophes hellénistiques, Paris, 2001, ch. 27-28 (t. II, p. 19-44).

→ catégorie, essence, substance, substrat




qualités premières, qualités secondes


Selon Locke, les « qualités premières », intrinsèques aux objets, produisent dans le sujet des sensations appelées « qualités secondes »(1).

Philosophie Moderne, Épistémologie

Dans la tradition issue d'Aristote, la qualité désigne l'état ou les propriétés d'une substance. Mais la question de l'existence de ces propriétés se pose d'une manière nouvelle après la révolution scientifique du xviie s., qui impose de ne plus considérer comme absolument « réel » que l'aspect géométrique et quantitatif des phénomènes. À la suite de Galilée, dans l'Essayeur (1623), et de Descartes(2), Locke distingue ce qui appartient « réellement » aux objets (« solidité, étendue, figure, nombre, et mouvement ou repos »(3)) et ce qui en résulte dans la sensation (chaleur, couleur, odeur, et autres « qualités sensibles »). Il tient pour une illusion le fait d'attribuer aux objets eux-mêmes ces qualités « secondes » qui n'existent qu'en nous.

Cette distinction est critiquée par Leibniz, pour qui les qualités secondes contiennent une part de réalité en ce qu'elles « expriment » des qualités premières(4). Berkeley critique également cette distinction, mais de façon inverse(5). Il constate que les « qualités premières » ne sont données à l'esprit que par l'intermédiaire de qualités secondes. Elles sont indissociables. À proprement parler, il n'existe donc plus que des qualités « secondes », toutes les qualités n'étant que « des idées existant dans l'esprit »(6).

La perspective kantienne remet totalement en cause cette distinction elle-même, en soutenant que toutes les propriétés attribuées aux phénomènes sont nécessairement relatives aux formes d'intuition et de connaissance du sujet transcendantal.

Aujourd'hui, cette distinction n'est plus acceptée telle quelle, mais la volonté de discriminer entre le purement « subjectif » et le réellement « objectif » fait que ces termes sont encore parfois utilisés comme expressions imagées.

Alexis Bienvenu

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Locke, J., Essai philosophique concernant l'entendement humain (1690), II, 8, trad. Coste, Vrin, Paris, 1989.
  • 2 ↑ Descartes, R., Principes de la philosophie (1644), I, 69, Vrin, Paris, 1999.
  • 3 ↑ Locke, J., Essai philosophique concernant l'entendement humain, II, VIII, § 22, opus cit.
  • 4 ↑ Leibniz, G. W., Nouveaux Essais sur l'entendement humain (II, 8), Flammarion, Paris, 1990.
  • 5 ↑ Berkeley, G., Le traité des principes de la connaissance humaine (I, 9), Flammarion, Paris, 1991.
  • 6 ↑ Berkeley, G., Œuvres, I, (1710) sous la direction de G. Brykman, PUF, Paris, 1985, p. 323.

→ qualitatif, quantité, sensation, subjectif