psychologie

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Mot forgé sur le grec psychê, « âme, esprit », et logos, « recours ».

Philosophie Générale

→  « Philosophie et psychologie »




psychologie morale

Morale, Psychologie

Étude empirique des jugements et des comportements moraux en tant qu'ils témoignent d'obligations internes.

Même si la contrainte normative s'exerçait sur l'agent par delà toute considération anthropologique, voire quasi logiquement (Kant), le problème demeurerait de la cohérence des sentiments moraux qui manifeste cette contrainte. S'il faut du « respect » pour la loi morale, il faut aussi la honte de ne pas la respecter, la peur d'en avoir honte, etc. Une psychologie est alors co-extensive à la morale. Seconde condition d'une psychologie morale, il faut supposer l'impératif en amont de l'action, pour que la morale soit davantage que la rationalisation d'obligations sociales externes (Kolhberg). La psychologie morale est donc génétique, et ses stades décrivent les niveaux d'intégration des règles éthiques (Piaget). Ses tests confrontent les enfants à des récits paradoxaux (vol altruiste) pour évaluer leur niveau de moralité acquise. Y est érigée en norme la capacité à voir les choses du point de vue de l'autre. Comme ces tests font aussi ressortir des asymétries entre les sexes, l'interprétation en est très controversée.

Pierre-Henri Castel

Notes bibliographiques

  • Kolhberg, L., Levine, C., et Hewer, A., Moral Stages : a Current Formulation and a Response to Critics, Bâle, 1985.

→ moral (impératif)




psychologie sociale

Éthique, Politique, Psychologie

Étude empirique, le plus souvent expérimentale, des comportements, des jugements et des émotions des individus en société, analysés à partir de leurs interactions interindividuelles en groupe.

Si le projet théorique d'une psychologie sociale est ancien (le titre apparaît chez MacDougall en 1908), il est resté spéculatif (la « psychologie interindividuelle » de Tarde) ou idéologiquement marqué (comme dans la « psychologie des foules » de Le Bon, qui a suggéré à Freud des réflexions sur la cause de l'influence sociale). Cette discipline est née comme science dans les années 1930, avec les travaux de Mayo sur les groupes en psychologie du travail, puis de Lewin sur la « dynamique des groupes » et sur l'autorité. Le contexte sociopolitique et idéologique américain des années 1950 a suscité des recherches spectaculaires, et d'une redoutable portée critique, sur l'obéissance, le conformisme, l'efficacité des consensus de type démocratique, la défense de sa liberté par l'individu (« réactance ») et la plasticité des croyances.

La psychologie sociale étudie en priorité quatre objets.

1. Comment les catégorisations reflètent les préjugés.

2. Comment s'influencent et se hiérarchisent les individus d'un groupe.

3. Comment se construit le soi social comme « rôle ».

4. Comment se stabilisent les cognitions et les émotions individuelles dans un contexte social mouvant et contradictoire. Il existe enfin des essais de psychologie collective portant sur les valeurs et les représentations idéologiques de groupes ethniques ou sociaux (Nisbett).

Dissipant les fausses évidences de la vie sociale quotidienne (par exemple la confusion entre normes qu'on invoque et normes qu'on suit), et dénudant ses ressorts causaux effectifs, la psychologie sociale inquiète nombre d'idéaux moraux ou politiques, dont elle peut prouver l'inanité, ou la pertinence, mais pour d'autres raisons que celles de leurs justifications usuelles. Asch, en montrant la distorsion que subissent, sous la pression du groupe, même les comptes rendus d'expériences perceptives élémentaires, et Milgram, prouvant que, sur ordre, presque n'importe qui pouvait torturer, ont donné un sens anthropologique à leur démarche. Le groupe au travail, tel que Mayo l'avait théorisé, a au contraire initié une tradition instrumentaliste en psychologie sociale, au service de l'école, de l'industrie et de l'armée. La psychologie sociale cognitive, interrogeant les croyances collectives, les biais attributifs et la rectification des dissonances (Festinger a travaillé, ainsi, sur une secte qui attendait l'apocalypse à une certaine date), a aussi élaboré des théories positives de l'influence et du « rôle » social. Sur cette base, la psychologie sociale a ouvert la voie à certaines formes de manipulation à visée thérapeutique, et renouvelle la problématique de l'hypnose, qui depuis Le Bon et Tarde reste un de ses fils rouges.

La psychologie sociale expérimentale se heurte au problème de la caractérisation d'un stimulus comme social ; ce n'est plus juste une saillance perceptive ; et tout stimulus individuel a un contexte social, dont le contexte expérimental lui-même. La répétabilité des expériences est plus difficile à obtenir. D'autre part, par principe, si elle tend à naturaliser les conduites morales (comme l'altruisme), elle se heurte au paradoxe de devoir aussi s'imposer de fortes contraintes éthiques devant les expériences réalisables. Enfin, la psychologie sociale, comme toute discipline qui a recours à l'individualisme méthodologique, est accusée de véhiculer une charge idéologique : analysant les faits sociaux comme le résultat d'interactions individuelles, elle en donnerait une version biaisée.

Pierre-Henri Castel

Notes bibliographiques

  • Faucheux, C., et Moscovici, S. (éds.), Psychologie sociale théorique et expérimentale, École des hautes études en sciences sociales, Paris, 1971.
  • Milgram, S., Soumission à l'autorité, Calmann-Lévy, Paris, 1974.
  • Nisbett, R., et Cohen, D., Culture of Honour : The Psychology of Violence in the South, Boulder CO, 1996.
  • Poitou, J.-P. (éd.), la Dissonance cognitive, Armand Colin, Paris, 1974.

→ autorité, norme, psychologie des peuples




psychologie rationnelle

Philosophie Cognitive, Psychologie

Étude a priori de l'âme, dans la métaphysique classique, et plus généralement de celle de l'esprit, par des moyens uniquement conceptuels.

Surtout connue par la critique de ses paralogismes par Kant, la psychologie rationnelle entendait déduire axiomatiquement le contenu exposé dans sa « psychologie empirique ». Leur distinction ne recouvre donc pas l'opposition cartésienne anima (« vie ») / mens (« intellect »). Kant, en traitant une alternative de méthode (induction / déduction) comme engageant la portée ontologique de la psychologie rationnelle (qui ne devrait contenir que des prédicats a priori au sens kantien du « transcendantal »), liquidait le projet hérité de Leibniz d'une recherche à double entrée sur la « force de représenter l'univers ». Toute la psychologie fut ainsi, à terme, retranchée des sciences au profit d'une anthropologie descriptive.

On peut néanmoins trouver trace de la psychologie rationnelle dans la philosophie de l'esprit, lorsqu'elle confronte la grammaire logique des attitudes propositionnelles (croire, désirer, etc.) aux savoirs positifs de la psychologie cognitive.

Pierre-Henri Castel

Notes bibliographiques

  • Kant, E., Critique de la raison pure, 1781.
  • Wolff, C., Psychologia rationalis, Francfort, 1734.

→ âme, esprit




psychologie de la communication

→ communication




psychologie du développement

→ développement




psychologie des facultés

→ faculté




psychologie de la forme

→ forme




psychologie de la foule

→ foule




psychologie des groupes

→ groupe




psychologie du langage

→ langage




psychologie des peuples

→ peuple




Philosophie et psychologie

Psychologie et philosophie ont longtemps été alliées, à la fois dans les théories de l'esprit des philosophes depuis l'Antiquité et à partir du xixe s., quand la psychologie s'est constituée comme science. Mais, à partir de la fin du xixe s., nombre de philosophes et, en particulier, Husserl et Frege en Allemagne, ont réagi contre le « psychologisme » et dénoncé l'intrusion de la psychologie dans la philosophie. Devenue science expérimentale, la psychologie a pris de plus en plus ses distances avec la philosophie. Pourtant, le projet des sciences cognitives contemporaines de constituer une théorie générale de l'esprit et de renouveler scientifiquement l'approche des phénomènes mentaux a rendu vigueur à un dialogue abandonné entre les deux disciplines, en même temps qu'il a suscité les craintes et les suspicions des philosophes. Comment peut-on évaluer cette controverse aujourd'hui ?

Brève histoire d'un divorce

Au sens d'une théorie de l'âme, de ses fonctions et de ses liens avec le corps, la psychologie a fait partie intégrante de la philosophie depuis les présocratiques. Mais, quand Descartes écrivait les Passions de l'âme (1649), il ne concevait pas, malgré son dualisme, l'étude de l'âme comme celle d'un ensemble de propriétés séparées. Ce n'est qu'au xviiie s. que cette étude a vu le jour. Les historiens datent la première occurrence du terme psychologia vers 1575, mais il a réellement été en usage à partir de la Psychologia empirica (1732), de Wolff, qui analysait les facultés de l'âme par l'observation intérieure, et de sa Psychologia rationalis (1734), qui les déduisait par intuition rationnelle. Dans le même temps, en Angleterre, puis en Écosse, les empiristes classiques développaient, sur la base de la théorie des idées de Locke, l'idée d'une méthode expérimentale, inspirée par la physique de Newton, appliquée aux sujets « moraux ». Hume propose des lois d'association liant les atomes de l'esprit, et, en France, avec les idéologues et Maine de Biran se forge l'idée d'une science de la psychologie du « sentiment intérieur ». Au moment-même où psychologie et philosophie célèbrent leur noces, Kant critique, dans les Paralogismes, la psychologie rationnelle de Wolff, et il déclare dans sa Logique que « fonder la logique sur la psychologie serait comme fonder la morale sur la vie ». De là date l'idée que la philosophie, en tant que théorie de la connaissance, porte sur ce qu'on doit penser et sur les conditions de l'expérience possible, alors que la psychologie porte sur la manière dont on pense et sur les conditions de l'expérience réelle. Les postkantiens et l'ensemble du courant idéaliste en Allemagne définiront la philosophie comme discipline critique et spéculative, et malgré un riche courant postkantien d'inspiration empiriste (Fries, Beneke) ou réaliste (Herbart), les voies de la psychologie et de la philosophie ne se renoueront dans ce pays qu'à la fin du xixe s. Au contraire, la psychologie associationniste prend son essor en Grande-Bretagne, et, en France, la philosophie éclectique prend volontiers des allures de « psychologie métaphysique », tentant d'accéder aux propriétés du moi à partir de l'observation intérieure (que condamnera Comte). En Allemagne, avec la physiologie de Müller, l'optique de Helmholtz et la synthèse de Wundt, qui fonde le premier laboratoire de psychologie, la psychologie prend son essor. Avec Galton et Bain en Grande-Bretagne, elle domine et commence à allier ses méthodes avec celles de la statistique naissante. La philosophie, avec Mill et Spencer, se veut naturaliste et inductiviste, basée sur la psychologie et sur la biologie. Cet essor de la jeune science provoque l'intérêt des philosophes, et l'école de Brentano (Stumpf, Meinong), en Autriche, définit son projet comme celui d'une psychologie descriptive en même temps que d'une métaphysique. Les départements de psychologie des universités réunissent philosophes et psychologues, et les philosophes tels que Mach se définissent comme appartenant aux deux disciplines. Ce que l'on peut appeler la révolte des philosophes contre la montée en puissance de la psychologie vient en trois étapes. La première vient des néokantiens, comme Rickerts ou Lotze, qui refusent au nom du caractère critique de la théorie de la connaissance toute intrusion d'éléments empiriques dans l'étude de l'esprit. (Le terme de « psychologisme » a, en fait, été employé vers 1850 pour désigner la doctrine de Beneke). La deuxième vient d'un penseur isolé, Frege, qui défend, contre les logiciens « psychologistes », toute réduction des contenus de jugement et de signification à des idées ou à des représentations, en même temps qu'il fonde une nouvelle logique. Dans un troisième temps, ces critiques sont reprises et systématisées par Husserl dans ses Recherches logiques (1901). La crise culmine en 1913 sur le plan institutionnel par une pétition des philosophes universitaires contre l'octroi de postes à des psychologues dans leurs départements. Après la Première Guerre mondiale, les chemins de la psychologie et de la psychologie ne se croiseront plus pour longtemps. Les travaux de Watson et des béhavioristes, qui rejettent tout mentalisme, autant que ceux des psychologues de la Gestalt, fondent des traditions expérimentales dans lesquelles les philosophes ne se reconnaissent plus, y compris quand ils ont, comme la phénoménologie des origines communes (la Gestaltheorie est issue en grande partie du courant brentanien). Dans les pays, comme la France, où la fracture se fait entre la psychologie expérimentale et la psychanalyse, et où des auteurs tels que G. Canguilhem et M. Foucault dénoncent la psychologie comme instrument de normalisation sociale, le divorce entre les deux disciplines semble consommé.

Une nouvelle alliance ?

La critique du psychologisme par Frege et Husserl a pendant près d'un siècle conduit à un consensus aussi bien au sein du courant phénoménologique qu'au sein de la philosophie analytique, sur le fait que la philosophie ne peut en aucun cas s'occuper de questions relevant de l'explication causale et d'une description de la genèse psychologique des connaissances. Mais deux facteurs ont remis en cause ce consensus. Le premier est interne à la philosophie. Alors que la plupart des philosophes analytiques, de Russell à Carnap et à Wittgenstein, admettent que la philosophie est une enquête purement conceptuelle et a priori dont les énoncés n'ont rien à voir avec ceux de la science empirique, Quine a mis en cause la distinction même qui fonde cette idée, entre des énoncés analytiques ou vrais en vertu de la signification, et des énoncés synthétiques ou vrais en vertu de leur rapport à l'expérience. Pour Quine, il n'y a qu'une différence de degré entre science et philosophie, dont les thèses peuvent être révisées par des découvertes empiriques. L'épistémologie devient ainsi « naturalisée » et se réduit à la psychologie de la connaissance. Le second facteur est l'expansion, à partir des années 1960, des sciences cognitives, qui ont proposé un nouveau paradigme à la psychologie, celui de la théorie « computationnelle » de l'esprit comme traitement d'information. L'antipsychologisme était fondé sur l'idée que les contenus psychologiques sont nécessairement subjectifs et variables, et que les lois du mental sont de pseudo-lois. La psychologie cognitive, au contraire, traite les représentations comme objectives et fondées sur des processus causaux susceptibles de tomber sous des lois, et renouvelle ainsi profondément la conception de la psychologie, qui n'est plus soumise à l'alternative entre béhaviorisme et subjectivisme.

Normativité et naturalisme

Même s'il renouvelle notre conception de l'esprit, le programme des sciences cognitives reste un programme naturaliste, c'est-à-dire dont le projet est de fournir une explication causale des représentations et des processus mentaux aussi bien « inférieurs » (sensation, perception, action) que « supérieurs » (raisonnement, croyance, inférence, intentions). Tout le problème – et c'était celui que posaient Husserl et Frege – est de savoir si on peut rendre compte en termes causaux et naturels de l'objectivité et de ce que Husserl appelait l'« idéalité » des contenus mentaux intentionnels, et si l'on peut expliquer les propriétés normatives des contenus mentaux en termes de processus naturels. L'une des propriétés apparemment la plus difficile à évacuer des états mentaux de la psychologie intentionnelle (croyances, désirs, etc.) est leur normativité : les croyances sont vraies ou fausses, justifiées ou injustifiées, correcte ou non, etc. Une théorie naturaliste de l'esprit peut-elle expliquer ces traits sans les réduire ou les éliminer ? La réponse à cette question dépend de deux choses. Elle dépend, d'abord, de la conception du naturalisme que l'on entend défendre. Selon le naturalisme physicaliste, tous les processus mentaux peuvent être, en dernière instance, réduits à des processus cérébraux et, en définitive, physiques et chimiques. Selon le naturalisme biologique, les processus mentaux peuvent être analysés en termes de fonctions biologiques, lesquelles sont habituellement analysées en termes de sélection naturelle dans les synthèses néo-darwiniennes contemporaines. Mais tous les naturalismes ne sont pas de l'espèce réductionniste. Nombre de philosophes ont défendu l'idée, inspirée en partie par la théorie computationnelle de l'esprit, mais dont l'origine remonte à Aristote, que l'essence de l'esprit est d'être un ensemble de fonctions. Ce fonctionnalisme (dont il y a de nombreuses versions) semble promettre une forme de naturalisme non réductionniste. La réponse à notre question dépend aussi de la manière dont on analyse les traits normatifs du mental. Font-ils partie de l'essence même de tout état mental ? Non, il semble, par exemple, qu'il n'y ait rien de normatif dans la perception en tant que simple traitement d'un donné perceptif. La normativité, c'est-à-dire le fait que les états mentaux soient évaluables, vient au niveau du jugement et, particulièrement, au niveau où le sujet accède à ses propres états mentaux. Il provient du fait que la cognition, principalement chez les humains, est également métacognition. La question est alors de savoir si cette métacognition peut elle-même s'analyser en termes psychologiques et naturalistes. Les chercheurs qui s'intéressent à la capacité des humains et de certains primates à attribuer des états mentaux et à former une « théorie » naïve de l'esprit peuvent espérer donner une analyse naturaliste de cette compétence. S'ensuivra-t-il qu'on aura fourni une naturalisation de l'épistémologie elle-même ?

C'est douteux, notamment parce que l'entreprise est circulaire : pour définir les bases naturelles de la connaissance, il faut présupposer l'analyse du concept de connaissance, et il n'est pas certain que ce concept puisse être lui-même analysé de manière non circulaire.

L'enjeu du conflit entre philosophie et psychologie (et sciences cognitives), ou des alliances que celles-ci pourraient passer, est celui de la formulation correcte du naturalisme philosophique. Rien n'indique que ce conflit puisse être résorbé. Mais sans doute la remarque de Wittgenstein, selon laquelle « la philosophie n'a pas plus de rapport avec la psychologie qu'avec aucune science naturelle », est-elle fausse.

Pascal Engel

Notes bibliographiques

  • Canguilhem, G., « Qu'est-ce que la psychologie ? », in Études d'histoire et de philosophie des sciences, Vrin, Paris, 1969.
  • Engel, P., Philosophie et Psychologie, Gallimard, Paris, 1996.
  • Quine, W.V.O., « Epistemology naturalized » (1969), in Relativité de l'ontologie, Aubier, Paris, 1969.

→ fonctionnalisme, physicalisme

→  « Les sciences cognitives » , « Norme et nature »