peuple

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin populus.

Politique, Sciences Humaines

1. (Péj.) Partie « inférieure » de la société. – 2. Communauté politique unifiée. – 3. Composante de l'humanité, nation.

Les usages du terme de « peuple » sont multiples et variés, témoignant d'une diversité de significations du concept auxquelles on n'est guère sensible tant le terme, relevant du langage courant et dépourvu de toute technicité apparente, semble aller de soi.

Par « peuple », on désigne d'abord une partie ou une composante de la société, un groupe social ou un ensemble de groupes sociaux : ces composantes ou ces groupes sont considérés comme formant la partie ou la frange « inférieure » ou « basse » de la société – cette appartenance aux couches inférieures de la société étant marquée par l'absence de richesses et une faible reconnaissance ou estime sociale. Le peuple est alors considéré comme l'ensemble des groupes sociaux auxquels on attribue une attitude hostile à l'ordre social et aux composantes plus favorisées de la société : de ce point de vue, on considérait souvent au xixe s. le peuple comme une masse caractérisée par sa dangerosité sociale (on parlait alors des « classes dangereuses »), cette dangerosité étant d'ailleurs d'autant plus grande que la masse est à la fois informe et nombreuse. Dans ce contexte, les termes de « populace » ou de « plèbe » sont des synonymes de « peuple ». Ce sont ces mêmes groupes sociaux, constitutifs du peuple comme masse, que Marx devait désigner du terme de « prolétariat » qu'il substitua (pour rompre avec toute connotation péjorative) au terme de Pöbel (proche du latin plebs et du français « plèbe ») qu'utilisait encore Hegel pour désigner les classes appauvries et menaçantes de la « société civile ».

En un second sens, le « peuple » signifie le caractère unifié d'une communauté proprement politique. C'est en ce sens là du terme que le droit naturel moderne a repris l'opposition ancienne entre la « multitude » et le « peuple » : alors que la multitude est un ensemble constitué par simple addition et juxtaposition des individus, le « peuple » désigne une communauté, un tout qui n'est pas réductible à la somme des individus ou des groupes qui le composent. Alors que la multitude est une réalité naturelle et empiriquement donnée, le peuple est une réalité proprement politique, qui n'est pas donnée comme telle, mais toujours constituée en vertu d'un acte positif d'association volontaire des individus. Cet acte volontaire donne naissance à une communauté considérée comme un être à part entière, doué de pensée (collective) et de volonté (générale). C'est en ce sens là du concept de « peuple » que Rousseau et après lui la langue juridique moderne parlent de « souveraineté du peuple » : le peuple est considéré comme souverain dans la mesure où il est vu comme le fondement de l'ordre politique en vertu même de l'acte originaire d'association qui, en le constituant comme peuple, a du même coup donné naissance à la communauté politique. La question du passage de la multitude au peuple est une difficulté majeure de la pensée politique classique, jusqu'à Hegel au moins : on a ainsi pu considérer que ce passage n'en est pas un et que, de la première au second, il ne peut y avoir qu'un saut qui, au point de vue théorique, est souvent vu comme un saltus mortale. La multitude n'étant pas un peuple avant ni en dehors de la constitution, cela a pu conduire une pensée de type contre-révolutionnaire à poser que le peuple ne peut être l'auteur de la constitution et qu'il peut seulement la recevoir de l'extérieur.

En un troisième sens enfin, le « peuple » est synonyme de « l'État » ou de la « nation » : c'est notamment le cas lorsque « peuple » est utilisé au pluriel dans des expressions comme « les relations entre les peuples », « l'amitié entre les peuples », etc. « Peuple » ne désigne pas ici, comme précédemment, la source de la légitimité politique, mais l'unité politique en tant que telle, considérée comme une totalité singulière qui entre en rapport avec d'autres totalités singulières de même nature. Les peuples sont alors considérés comme les composantes de l'humanité, susceptibles de se rassembler ou du moins de s'associer au sein d'une assemblée des peuples ou d'une « société des nations ». Ce sens du terme de « peuple » ne préjuge pas de la réponse donnée à la question de savoir ce qui fait qu'un peuple est un peuple : on peut notamment considérer qu'il entre dans la constitution d'un peuple comme tel une composante qui est soit de l'ordre de la « nature », soit de l'ordre de la « tradition » (caractérisée d'abord par le partage d'une langue commune) et qui lui confère son « caractère national », au sens que l'on donne au terme de « nation » dans la tradition allemande (chez Herder et Fichte par exemple) en particulier, et dans les langues anglo-saxonnes en général. Mais l'on peut aussi considérer, comme c'est plutôt le cas en France, que le peuple au sens de « la nation » est une réalité purement politique (synonyme de l'État), en l'occurrence une communauté reposant sur l'acte d'adhésion volontaire des individus qui la composent, et non sur un quelconque lien d'ordre naturel ou traditionnel.

Franck Fischbach

→ citoyen, communauté, contrat, démocratie, foule, politeia, prolétariat




psychologie des peuples

Politique, Psychologie

Étude des caractéristiques psychologiques supposées des peuples en vue d'expliquer leurs institutions et leur culture.

C'est comme « Analyse comparée de la civilisation et de la culture » que se présente le monumental ouvrage de W. Wundt, La Psychologie des peuples (1911). Il se trouve à la charnière de deux styles d'appréciation des différences de mœurs entre les groupes humains : un premier courant né lors des Lumières, à mesure que la convergence vers des idéaux universalistes de rationalité a permis de classer en fonction de leur relatif éloignement les peuples appréhendés à travers le filtre de leur « caractère national » ; et un second courant, plus positif et comparatiste, axiologiquement neutre, soucieux d'exploiter les méthodes de la psychologie sociale en ethnologie. Car s'il existe un répertoire de comportements culturels, qui sont en plus cohérents entre eux, au sein d'un groupe ethnique ou national (l'hypothèse de Wundt), il est tentant de créditer la perception des différences par l'observateur étranger d'une pertinence pour caractériser scientifiquement ce qui était jusqu'alors surtout le fait moral ou subjectif de la relativité des mœurs. Au niveau supérieur, des « représentations du monde » ethniques caractériseraient la religion, l'art, voire la science des peuples.

Comme psychologie interculturelle, la version contemporaine de la psychologie des peuples est exposée au paradoxe bien connu en psychologie des groupes : bien loin de définir l'identité des individus par l'appartenance au groupe, certains groupes se constituent à partir de la ressemblance consciemment mobilisée de leurs membres entre eux (par affiliation). Du coup, la psychologie interculturelle abandonne à l'idéologie les effets hypothétiques de l'appartenance ethnique en tant que telle sur un « caractère national » : les effets psychologiques pertinents sont les effets d'affiliation de rang inférieur (les sensibilités religieuses, esthétiques, etc.), dont l'intégration en un tout au sens de Hegel ou de Spencer, encore envisagée par Wundt, inspire la méfiance.

Pierre-Henri Castel

Notes bibliographiques

  • Crépon, M., les Géographies de l'esprit, Payot, Paris, 1996.
  • Triandis, H., et Lambert, W., Handbook of Cross-Cultural Psychology, Boston, 1980.
  • Wundt, W., Völkerpsychologie, Leipzig, 1911.

→ groupes, psychologie sociale