prolétariat
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin proletarius, de proles, « lignée ».
Notion qui apparaît au xixe s. dans le cadre de la critique de la société industrielle et qui est redéfinie par Marx. Sa pertinence descriptive et ses enjeux politiques sont vivement discutés au xxe s.
Politique
Ensemble des producteurs salariés qui ne possèdent aucun moyen de production.
Dans le droit romain, les prolétaires constituent la dernière classe des citoyens, considérés comme utiles seulement par leur descendance et exemptés d'impôts. Repris dans le moyen français, le terme connaît un fort regain d'intérêt au xixe s. alors que se développe une critique sociale, politique et économique du monde industriel.
Dans ce contexte, le substantif « prolétariat » apparaît en 1832, pour désigner l'ensemble des travailleurs pauvres, dont la misère est perçue comme le résultat de l'égoïsme des classes dirigeantes. Souvent associé à la dénonciation du paupérisme, le terme témoigne d'une perception des conditions de vie de la classe ouvrière comme anormales, peu durables et peu compatibles avec l'essor industriel.
Terme transposé en allemand en 1842 par L. von Stein, il est aussitôt repris par le jeune hégélien M. Hess, alors proche d'Engels et de Marx. On le rencontre dès 1843 chez Marx, où il acquiert un sens nouveau et une importance théorique centrale. Sa définition marxienne s'élabore en trois étapes.
1. D'abord, le terme apparaît en 1843, au cours de la critique de la philosophie hégélienne du droit, engagée par Marx. Il désigne le sujet social enfin identifié de l'émancipation générale de la société civile moderne. Le prolétariat, parce qu'il est cette classe qui « subit l'injustice tout court », ne peut viser qu'« une reconquête totale de l'homme »(1).
2. Dans l'Idéologie allemande (1845) et le Manifeste du parti communiste (1848), Marx et Engels définissent les luttes de classe et l'antagonisme moderne entre prolétariat et bourgeoisie. Ils précisent ainsi une analyse d'abord engagée par Engels, dans son étude de la Situation de la classe laborieuse en Angleterre. Le prolétariat se définit par sa place au sein d'un mode de production et des rapports sociaux qui lui correspondent. Il est à la fois la classe qui produit les richesses sans posséder de moyens de production et celle qui est appelée à la transformation radicale du capitalisme.
3. Enfin, dans le Capital et les manuscrits préparatoires, la découverte de la survaleur et de son origine, la fraction de temps de travail non payé que s'approprie le capitaliste, permet à Marx de préciser cette notion et d'en exposer la dimension dialectique. Le prolétariat est dépossédé de la richesse sociale qu'il crée. Par suite, son unité et son identité de classe se construisent en contradiction avec le caractère privé de l'appropriation bourgeoise, et visent le communisme. Mais, d'un autre côté, le prolétariat subit aussi une concurrence qui fait obstacle à sa prise de conscience unitaire et à son rôle révolutionnaire.
Le prolétariat au sens marxien est une notion qui se veut socialement descriptive, mais qui présente aussi une dimension critique et philosophique constitutive. Cette double orientation sera au centre des débats postérieurs à Marx.
Si on laisse de côté sa sclérose dogmatique, la notion pose des questions qui demeurent actuelles, déjà perçues par Lukacs et Gramsci, ou abordées par la sociologie contemporaine. Le thème de la fin de la classe ouvrière apparaît vers 1960. Mais on peut lui objecter sa réduction de la notion de prolétariat à une catégorie socioprofessionnelle, qui omet l'analyse de l'antagonisme social lui donnant naissance. L'augmentation du secteur tertiaire et l'élévation du niveau de vie n'annulent pas la pertinence d'une théorie de l'exploitation. En outre, la dynamique du progrès social est remis en cause depuis la crise des années 1970. Le problème est donc, de nouveau, celui d'une identité et d'une conscience de classe des dominés. Le terme de « prolétariat », distingué par là même de celui de classe ouvrière, désigne l'héritage théorique de cette question et souligne sa portée philosophique et politique.
Isabelle Garo
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Marx, K., Critique du droit politique hégélien, introduction de 1843, Éditions sociales, Paris, 1975, p. 211.
- Voir aussi : Balibar, E. et Wallerstein, I., Race, nation, classe, La Découverte, Paris, 1990.
- Gorz, A., Adieux au prolétariat, Galilée, Paris, 1980.
- Lukacs, G., Histoire et Conscience de classe, Minuit, Paris, 1960.
- Marx, K., et Engels, F., Le manifeste du parti communiste, Messidor-Éditions sociales, Paris, 1986.
→ bourgeoisie, classe, classes (lutte des), communisme, dialectique