faculté
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin facultas, « capacité », « aptitude », dérivé de facere, « faire ».
Philosophie Générale
Pouvoir ou capacité reconnue à un agent, et particulièrement à l'esprit. En un sens dérivé, corps à qui l'ont reconnaît la capacité d'enseigner et de collationner les grades (université).
Une faculté désigne un « pouvoir de faire » dans lequel est immédiatement impliqué le pouvoir de ne pas faire : la faculté définit ainsi une capacité qui ne s'actualise pas nécessairement. Les « pouvoirs de faire » déterminés comme des facultés sont donc littéralement des pouvoirs « facultatifs », autre façon de dire que ne possèdent véritablement des facultés que des sujets libres, capables de décider si et comment ils utilisent leurs pouvoirs.
Les facultés, prises au pluriel, renvoient l'unicité de l'âme humaine à la multiplicité des pouvoirs qu'elle intègre (c'est-à-dire classiquement la sensibilité, l'entendement, et la volonté). La question est alors de savoir si les facultés sont des réalités distinctes dans l'esprit, ou si au contraire elles ne consistent qu'en de certaines dénominations que l'on utilise pour identifier a posteriori les formes que prend la puissance unique de l'esprit.
De plus, faculté ne s'entend pas seulement d'une « puissance active »(1) de l'esprit : Kant, qui reprend cette définition (« par rapport à l'état de ses représentations, mon esprit est actif et manifeste une faculté, ou bien il est passif et consiste en une réceptivité »(2)), précise que les pouvoirs passifs de l'esprit peuvent aussi être nommés « facultés inférieures » par opposition à des « facultés supérieures », dans lesquelles l'esprit est actif (ainsi la faculté inférieure de connaître est la sensibilité, par opposition à la faculté supérieure de connaître qu'est l'entendement) : or les opérations des facultés supérieures ne peuvent s'entendre sans l'appui des facultés inférieures.
Cette distinction entre facultés supérieures et facultés inférieures se retrouve dans les facultés prises au sens corporatif : ainsi le problème des facultés devient un problème de hiérarchie des savoirs tels que la puissance publique entend les constituer en institutions(3).
Laurent Gerbier
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Leibniz, G. W., Nouveaux Essais sur l'entendement humain (1765), II, 21, § 1, édition J. Brunschwicg, GF, Paris, 1990, p. 133.
- 2 ↑ Kant, E., Anthropologie du point de vue pragmatique (1797), Ire partie, I, § 7, tr. M. Foucault, Vrin, Paris, 1984, p. 26-27.
- 3 ↑ Kant, E., Le conflit des facultés (1798), tr. J. Gibelin, Vrin, Paris, 1935.
→ âme, connaissance, faculté, faculté de juger
Psychologie
Pouvoir de l'esprit isolé à partir des significations du langage courant. On distingue la raison et l'entendement (par la faculté de juger), la sensibilité (par la faculté de sentir, d'où procèdent imagination et mémoire), mais aussi le pouvoir d'être affecté (sentiment de plaisir et de peine), et le vouloir (par la faculté de désirer).
Pour le psychologue, une théorie scientifique de l'esprit exige d'écarter le contenu naïf de la notion de faculté (verbalisme, défaut d'appui expérimental). Le risque inhérent à toute psychologie des facultés consiste par exemple à naturaliser trop vite des a priori culturels (la phrénologie de Gall, ainsi, localisait sur le crâne le « talent mathématique » ou l'« avarice »), ou à négliger l'interrelation intrinsèque des facultés dans leur exercice réel (ainsi Binet mesurait-il, dans ses tests, la résultante globale d'une masse d'opérations mentales dont il s'épargnait la description analytique). En sciences cognitives, la théorie des facultés revit dans la doctrine de la « modularité » de l'esprit : les moments requis pour accomplir une fonction (comme parler) coïncident avec des structures hypothétiques que la neuropsychologie pourra localiser.
Mais si les facultés décrivent l'articulation interne de l'esprit, comme chez Kant, où elles épuisent la combinatoire des relations du sujet à ses objets, le grief de naïveté face au projet scientifique de naturalisation tombe. Bien plus, « faculté » désigne un pouvoir producteur de l'esprit à l'égard de ses contenus, et implique leur hiérarchie : en parlant de « facultés supérieures » (jugement scientifique, volonté libre, sentiment du beau), on caractérise donc l'autonomie de l'esprit. Une psychologie strictement descriptive ne saurait capter celle-ci. Enfin, même s'il récuse la circularité des mécanismes dispositionnels (postuler une faculté comme l'intellect pour justifier l'intelligibilité de l'intelligible, etc.), Wittgenstein note qu'on ne saurait se passer d'un « pouvoir » quelconque dans la grammaire de nos concepts mentaux. « Faculté » apparaît alors comme inéliminable.
Pierre-Henri Castel
Notes bibliographiques
- Fodor, J., La modularité de l'esprit, Paris, 1986.
- Kant, E., Critique de la faculté de juger, Paris, 1979.
- Wittgenstein, L., Remarques sur la philosophie de la psychologie, 2 vol., Mauvezin, 1989.
→ esprit, modularité
faculté de juger
Trad. littérale de [Kritik der] Urteilskraft, qu'il faut préférer à [Critique du] jugement, Urteil.
Esthétique
Notion cardinale de la troisième des grandes Critiques de Kant, publiée en 1790, et dans laquelle il expose sa théorie des jugements esthétique et téléologique.
C'est dans la lettre à Reinhold, datée des 28 et 31 décembre 1787, que Kant définit pour la première fois avec clarté le projet de la troisième Critique(1). Il compte alors l'intituler Critique du goût, qu'il faut entendre comme un don plutôt que comme une faculté qu'on peut soumettre à l'analyse, un sixième sens plutôt qu'une opération de l'esprit. La Critique de la faculté de juger, publiée en 1790, analysera pourtant les diverses fonctions d'un véritable jugement, que Kant dit « réfléchissant », qui trouve son origine dans le singulier sensible mais n'est pas cependant sans principe a priori, et qu'il faut distinguer du jugement « déterminant », qui dicte la règle de l'entendement au divers de la sensation quand il est spéculatif, et la loi de la raison à la maxime de la volonté quand il est moral.
La troisième Critique ambitionne de jeter un pont au-dessus de l'abîme qui sépare le domaine de la nature, dont la première Critique a montré qu'il doit se soumettre à la forme de nos catégories, et le domaine de la liberté, dont la seconde Critique a énoncé la loi d'autonomie, qui prend la valeur d'un fait de la raison. Bien qu'elle doive assurer l'unité architectonique du système, elle est pourtant elle-même divisée en deux grandes parties, la première consacrée au jugement esthétique, la seconde au jugement téléologique, c'est-à-dire au jugement de finalité, qui sont les deux formes nécessaires du jugement réfléchissant.
Le jugement esthétique porte successivement sur les sentiments du beau et du sublime (et non sur le beau et le sublime eux-mêmes, sujets d'interminables dissertations depuis la traduction par Boileau du traité du Pseudo-Longin, en 1674). L'analyse du sentiment du beau met en lumière sa nature paradoxale : il est un plaisir désintéressé, une expérience non conceptualisable mais revendiquant justement l'universalité, une finalité dont on ne saurait déterminer la fin, enfin une nécessité qu'on ne saurait prouver. Quant au sentiment du sublime, il résulte de la confrontation de l'immensité de la nature ou de sa puissance, qui sont en notre imagination, avec l'idée de l'absolument grand, ou celle de la résistance de notre liberté, qui sont en notre raison.
La révolution esthétique enracinant le beau comme le sublime dans le sentiment subjectif et non dans la forme objective, la dispute ne saurait en ce domaine donner lieu qu'à une discussion, la nécessaire indétermination du concept rendant impossible toute démonstration et empêchant le jugement de goût de s'ériger en jugement de connaissance. L'entretien esthétique n'est cependant pas vain, puisqu'il permet de communiquer, et même de communier dans notre commune nature, à la fois réceptive et spontanée, fermant ainsi le cercle amical d'une société de goût, à la mesure de notre condition, ni simplement logique comme la cité savante, ni héroïquement suprasensible comme la république des libertés.
Dans la seconde partie, Kant montre comment le jugement téléologique porte essentiellement sur la finalité interne de l'organisme vivant, être organisé s'organisant lui-même. L'idée de finalité, dont seule est capable un être doué d'autonomie, donc un animal rationnel, susceptible de déterminer par lui-même la fin de son action, n'a pourtant, quand le jugement réfléchissant l'invoque pour la connaissance du vivant, qu'une valeur régulatrice, ou heuristique, et non constitutive, orientant le progrès de la recherche mais se dissipant comme un simple reflet quand le naturaliste réussit à soumettre son objet aux lois mécaniques de la causalité.
L'idée de finalité constitue ainsi le principe et l'unité de la troisième Critique : la première partie analyse la finalité subjective du sentiment esthétique, qui consiste dans l'accord et le libre jeu de nos facultés dynamiques, imagination d'une part, entendement ou raison de l'autre ; la seconde partie analyse la finalité objective de l'organisme, dont chaque membre vaut à la fois comme une cause et comme un effet, comme une fin et comme un moyen.
Jacques Darriulat
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Kant, E., Kritik der Urteilskraft, éd. G. Lehmann, Stuttgart, Reclam, 1981 ; Critique de la faculté de juger, trad. A. Renaut, Flammarion, Paris, 1995.
- Voir aussi : Baeumler, A., le Problème de l'irrationalité dans l'esthétique et la logique du xviiie siècle, trad. O. Cossé, Presses Universitaires de Strasbourg, Strasbourg, 1999.
- Basch, V., Essai critique sur l'esthétique de Kant (1897), Vrin, Paris, 1927.
- Chédin, O., Sur l'esthétique de Kant, Vrin, Paris, 1982.
- Pareyson, L., l'Estetica di Kant, Milan, 1968.
- Philonenko, A., l'Œuvre de Kant, t. II, Vrin, Paris, 1892.
- Weil, É., Problèmes kantiens, Vrin, Paris, 1970.