présocratiques (pensées)

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Philosophie Antique

Se dit des mouvements philosophiques des vie et ve siècles av. J.-C., antérieurs à Socrate. Le terme tend également à caractériser des types de pensées naturalistes dont l'orientation diffère de celle adoptée par Socrate et ses successeurs.

Archélaos, maître de Socrate, représente, pour Diogène Laërce, le dernier des philosophes de la nature, Socrate ayant le premier introduit l'éthique(1). On peut, en ce sens, parler de « rupture » entre deux types de philosophies, rupture qui intervient précisément au niveau du rôle accordé à l'étude de la nature. Non que l'éthique soit absente des philosophies présocratiques(2), la plupart d'entre elles développent une pensée morale, politique et parfois même théologique ; mais, alors que Socrate s'est détourné de la science de la nature(3), la jugeant de peu d'intérêt pour l'éthique, les morales présocratiques, au contraire, trouvent souvent un fondement dans l'être ou la nature.

Bien que Socrate, en rompant avec les présocratiques, inaugure effectivement une nouvelle façon de philosopher, les thèses de ces derniers subsistent pourtant, de manière durable, recueillies et transmises par leurs successeurs(4). Au sein même de la lignée des postsocratiques, l'influence des présocratiques se fait également sentir, par-delà Socrate, notamment chez Platon.

Indépendamment de cette ambiguïté du rapport entre pensées pré- et postsocratiques, une seconde difficulté réside dans le caractère éminemment disparate des philosophies réunies sous le qualificatif générique de « présocratiques ». Ce caractère pluriel, que le rapport à la nature ne suffit pas à unifier, invite à considérer les différents représentants de la pensée présocratique essentiellement dans la perspective d'une succession d'individus, qui entretiennent parfois des rapports de maîtres à disciples, mais développent des pensées qui présentent des différences fondamentales, rendant par conséquent malaisée toute approche générale. À ces difficultés viennent enfin s'ajouter la forme extrêmement lacunaire des fragments des écrits présocratiques parvenus jusqu'à nous, ainsi que la fragilité ou partialité des sources et témoignages les concernant.

Diogène Laërce, dont les Vies et doctrines des philosophes illustres constituent assurément la plus ample tentative de classement des philosophies présocratiques, considère Thalès de Milet, un des sept sages, comme le premier penseur ionien(5), même s'il attribue l'origine de la « philosophie » ionienne à Anaximandre, son successeur direct. Ce qui contribue, sans doute, à faire de Thalès le premier des présocratiques est le recours à un élément matériel, l'eau, comme principe de toutes choses et mode d'explication des phénomènes naturels(6). On peut, en ce sens, parler, avec Thalès, d'une nouvelle attitude face à la nature, fondée sur l'observation et sur le raisonnement, qui peut être pour la première fois qualifiée de « scientifique ». Les présocratiques ne se départiront jamais, par la suite, de cet attachement à un type d'explication rationnelle, par opposition aux explications mythologiques. Dans la lignée de Thalès s'inscrit Anaximandre, qui considère l'Illimité (apeiron) comme principe(7), ou Anaximène, pour qui l'air est l'élément premier(8).

Pythagore possède, au même titre qu'Anaximandre, le statut d'initiateur de la philosophie. Diogène le considère, en effet, comme l'élève de Phérécyde, un des sept sages, et fait de lui le point de départ de la philosophie italique(9). La tradition concernant Pythagore lui-même met surtout en évidence les dimensions éthique, politique et religieuse de sa doctrine(10). En revanche, la place prépondérante que le système pythagoricien confère aux mathématiques apparaît surtout dans les témoignages concernant les disciples de Pythagore et, plus particulièrement, Hippase de Métaponte, Philolaos de Crotone ou Archytas de Tarente. Dans cette double perspective, le pythagorisme constitue, sans doute, le premier exemple d'un système philosophique achevé, qui forge et qui perfectionne ses outils de recherche (géométrie, arithmétique, théorie musicale(11)), qui élabore un vocabulaire technique(12) et, surtout, qui fonde l'ensemble de ses conceptions – cosmologique, épistémologique, mais aussi psychologique et politique – sur la thèse selon laquelle les nombres sont principes de toutes choses(13). La tradition transmet, en ce sens, un exposé exhaustif du système pythagoricien, même s'il est difficile de distinguer, dans des témoignages souvent tardifs, ce qui reflète véritablement la doctrine originelle et ce qui doit plus sûrement être attribué à Platon.

Thalès et Pythagore sont représentatifs de la pensée présocratique, parce qu'ils en marquent le commencement. Un autre repère privilégié pour s'orienter dans l'ensemble vaste et hétéroclite des philosophes qui ont précédé Socrate est fourni par la pensée des éléates. Platon revendique l'héritage de Parménide d'Élée non seulement pour son propre compte, mais aussi pour la philosophie en général(14). La stricte parenté entre l'être, le penser et le dire(15), la négation radicale de l'existence du non-être(16), la réfutation, par Zénon d'Élée, de l'existence du mouvement(17) serviront de toile de fond aux pensées philosophiques des ve et ive s. av. J.-C. S'il y a bien un avant et un après-Socrate, il y a peut-être aussi, au sein même de la pensée présocratique, un avant et un après-Parménide. La tâche que s'assigneront les postparménidiens sera essentiellement de sauver les phénomènes, de justifier l'existence du mouvement, sans pour autant renoncer à la stabilité de l'être, de justifier pourquoi l'un se donne pour multiple.

Les systèmes d'explication mécanistes de la nature qu'élaborent par la suite Empédocle d'Agrigente, Anaxagore de Clazomènes et les atomistes constituent ainsi, dans la diversité de leurs approches respectives, des solutions possibles aux problèmes soulevés par les éléates.

Annie Hourcade

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Diogène Laërce, II, 16 ; voir aussi Aristote, Métaphysique, I, 6, 987 b 1 et suiv.
  • 2 ↑ Diogène lui-même, dans le passage référencé ci-dessus, précise qu'Archélaos « lui aussi semble avoir touché à l'éthique ».
  • 3 ↑ Platon, Phédon, 96 a et suiv.
  • 4 ↑ C'est sans doute ce qui justifie la présence d'auteurs largement postérieurs à Socrate – par exemple, Anaxarque, sophiste et philosophe à la cour d'Alexandre le Grand, héritier de la pensée de Démocrite d'Abdère –, dans les Fragmente der Vorsokratiker, de H. Diels. Sur ce point, se reporter à la préface de W. Kranz à la 5e édition de 1934-1937.
  • 5 ↑ Diogène Laërce, I, 13 ; VIII, 1.
  • 6 ↑ Aristote, Métaphysique, I, 3, 983 b 20 = Thalès, A 12 in J.-P. Dumont (éd.), Les Présocratiques, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1988 (traduction française des Fragmente der Vorsokratiker de H. Diels et W. Franz). L'usage des termes « principe », « élément » et « matière » ne doit cependant pas être attribué à Thalès, mais plus certainement à Aristote lui-même.
  • 7 ↑ Aristote, Physique, III, 4, 203 b 6 et suiv. ; Anaximandre, A 15 ibid.
  • 8 ↑ Aristote, Métaphysique, I, 3, 984a5 = Anaximène, A 4 ibid.
  • 9 ↑ Diogène Laërce, I, 15.
  • 10 ↑ Ibid., VIII, 9-24.
  • 11 ↑ Philolaos, A 6 in J.-P. Dumont (éd.), Les Présocratiques, op. cit. ; Archytas, A 16-19 ; B 1-2, ibid.
  • 12 ↑ Aristote, Métaphysique, I, 5, 987 a 21.
  • 13 ↑ Philolaos, A 9-15 in J.-P. Dumont (éd.), Les Présocratiques, op. cit.
  • 14 ↑ Platon, Sophiste, 241d.
  • 15 ↑ Parménide, B 6 in J.-P. Dumont (éd.), Les Présocratiques, op. cit.
  • 16 ↑ Parménide, B 7, ibid.
  • 17 ↑ Les paradoxes de Zénon concernant le mouvement sont exposés par Aristote au livre VI de la Physique.
  • Voir aussi : Barnes, J., The Presocratic Philosophers, Routledge, Londres-New York, 1993.
  • Burnet, J., l'Aurore de la philosophie grecque, trad. A. Reymond, Paris, Lausanne, 1919.
  • Goulet-Cazé, M.-O. (dir.), Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, LGF, Paris, 1999.
  • Kirk, G. S., Raven, J. E., Schofield, M., les Philosophes présocratiques, Une histoire critique avec un choix de textes. Traduit de l'anglais par H.-A. de Week sous la dir. de D. J. O'Meara, éditions universitaires Fribourg, Fribourg, repris au Cerf, Paris, 1995.
  • Laks, A., Louguet, C., Qu'est-ce que la philosophie présocratique ?, Presses universitaires de Lille, Villeneuve d'Ascq, 2002.
  • Vlastos, G., Studies in Greek Philosophy. I. The Presocratics, Princeton, New Jersey, 1995.

→ atomisme, cosmologie, être, logos, mythe, nature, noûs, sophistique