atomisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Philosophie Antique

Doctrine selon laquelle il n'existe que des principes matériels, les atomes, ou particules indivisibles de matière inerte, séparés par du vide. La formation de l'univers, son état actuel et ses modifications sont expliqués uniquement par les formes, positions, mouvements, chocs et agrégations de ces atomes.

Historique

L'atomisme fut inventé par Leucippe et son disciple Démocrite, au ve s. av. J.-C. On savait, dès l'Antiquité, si peu de choses sur Leucippe qu'Épicure prétendait qu'il n'avait pas existé(1). Démocrite naquit à Abdère, en Ionie, entre 494 et 460 av. J.-C., et vécut quatre-vingt-dix ans. Socrate étant né en 469, Démocrite est plus son contemporain qu'un présocratique.

Il ne fonda pas d'école, mais l'atomisme connut un nouvel avatar au siècle suivant dans la philosophie d'Épicure (341-270). Né à Samos, après une jeunesse assez itinérante, il se fixa à Athènes et s'installa dans une maison avec jardin, où il fonda son école, qui reçut le nom de Kepos (« Jardin »). Il eut de nombreux successeurs, mais le plus illustre des épicuriens ultérieurs est le latin Lucrèce (96-52), dont le poème De la nature contient les plus vastes développements conservés sur la théorie atomiste.

Doctrines et problèmes

Les atomes sont des particules de matière insécables, comme leur nom l'indique, mais aussi incorruptibles et éternelles. Ils sont si petits qu'ils sont invisibles et ne peuvent donc être perçus, mais seulement pensés. Infinis en nombre dans un vide illimité, ils diffèrent par leur forme et par leur taille : les uns lisses et ronds, les autres avec aspérités et crochets, etc. Selon Démocrite, ils se déplacent dans le vide et finissent par former un tourbillon au sein duquel les atomes semblables s'agglomèrent les uns aux autres : de là naissent les éléments (terre, eau, air, feu), et se constituent la terre et le ciel. Puis, à cause de leurs différences de forme, les atomes s'accrochent les uns aux autres et s'imbriquent les uns dans les autres, et forment d'autres agrégats, plus complexes, qui constituent progressivement minéraux, plantes et animaux(2). C'est la différence des atomes ainsi que leur position et leur configuration qui expliquent les différences entre les corps composés. Il n'y a aucune finalité dans la nature.

Selon certaines sources, Démocrite n'admettait que deux propriétés des atomes, la taille et la forme, et c'est Épicure qui aurait ajouté une troisième propriété, le poids, par lequel il aurait expliqué le mouvement des atomes : emportés par leur propre poids, ils tombent droit dans le vide(3). Mais ces témoignages sont contredits par celui d'Aristote, d'après qui « Démocrite dit que chacun des corps atomiques est d'autant plus lourd qu'il est plus grand »(4) : il aurait donc attribué un poids aux atomes. Il n'en est pas moins vrai qu'Épicure attribue aux atomes un mouvement rectiligne vers le bas dû à leur propre poids(5), ce qui diffère du mouvement tourbillonnaire, dans l'univers sans haut ni bas de Démocrite. Celui-ci parlait seulement, semble-t-il, d'un mouvement de « pulsation » (kata palmon) sans lui assigner le poids pour cause(6). Pourtant, Épicure lui-même attribue moins le déplacement des atomes à leur poids qu'à la « nature du vide », qui, « en délimitant chaque atome » sans lui opposer de résistance, entraîne sa « pulsation propre »(7).

Que les atomes se déplacent dans le vide a pour conséquence qu'ils se déplacent tous à la même vitesse, car le vide oppose la même absence de résistance à tous les atomes : c'est un des points sur lesquels Épicure s'oppose à Aristote, lequel, n'admettant pas l'existence du vide, soutient que les corps lourds tombent plus vite que les corps légers(8), ce que Galilée réfutera. L'apparente différence de vitesse des atomes tient aux collisions que certains subissent : ceux qui sont arrêtés, retardés ou déviés par un choc avec d'autres atomes arrivent moins vite à un point donné que ceux qui avancent sans résistance à une vitesse si rapide qu'elle est inconcevable(9).

Une fois admis que les atomes tombent tous vers le bas en ligne droite et à la même vitesse, il est impossible d'expliquer que certains atomes puissent en rattraper d'autres et qu'ils puissent s'agréger entre eux, sans admettre que certains atomes dévient de façon aléatoire de leur trajectoire(10). Cette déclinaison rompt avec le strict déterminisme de Démocrite. Il y a, dès lors, trois mouvements atomiques : une trajectoire rectiligne vers le bas due au poids des atomes, des changements de trajectoire dus aux collisions des atomes, et une déviation infime qui explique ces collisions. Lorsqu'ils entrent en collision, certains atomes, au lieu de rebondir, forment des agrégats d'atomes.

Le haut et le bas sont, en un sens, des concepts relatifs : est « en haut » ce qui est au-dessus de nos têtes, et « en bas » ce qui est en dessous de nos têtes, et cela à l'infini(11). Mais cela implique bien une direction et un sens absolus au sein de l'univers, sans quoi il ne serait pas nécessaire d'expliquer par la déclinaison la rencontre des atomes. Il en résulte évidemment des difficultés (comment un univers infini dans toutes les directions peut-il avoir un sens absolu ?) que ne posait pas le mouvement tourbillonnaire de Démocrite, puisque c'est un mouvement qui va dans tous les sens dans un univers infini courbe. Aussi n'est-il pas impossible que la nécessité morale d'échapper au déterminisme démocritéen ait imposé à Épicure ces solutions compliquées. Car c'est aussi la déclinaison des atomes qui permet d'expliquer la possibilité d'une volonté libre, responsable de ses actes, en rompant le « pacte du destin »(12).

L'un des soucis des atomistes était de tout expliquer par la forme des atomes, leurs mouvements et leurs agrégations, jusqu'aux phénomènes psychiques. L'âme est, selon Démocrite, une sorte de feu composé d'atomes comparables à des grains de poussière en suspension dans l'air(13). Selon Épicure, l'âme est un mélange de souffle et de chaleur, auxquels s'ajoutent des atomes si fins qu'ils ont la capacité d'être en communication avec le reste du corps et donnent à l'âme la capacité de sentir(14). Bien qu'Épicure ait expliqué que ce n'est pas la « nature des atomes » qui explique les actions des animaux, mais la « superstructure » psychique elle-même(15), il semble avoir estimé nécessaire d'introduire de l'indéterminisme dans les atomes pour que la volonté humaine puisse échapper au déterminisme.

Jean-Baptiste Gourinat

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Diogène Laërce, X, 13.
  • 2 ↑ Démocrite A 37, in J.-P. Dumont (éd.), Les Présocratiques, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1988.
  • 3 ↑ Plutarque, Opinions des philosophes, I, 3 ; Cicéron, Du destin, 46.
  • 4 ↑ Aristote, De la génération et de la corruption, 326a9-10.
  • 5 ↑ Épicure, Lettre à Hérodote, 61.
  • 6 ↑ Plutarque, op. cit., I, 23, 3.
  • 7 ↑ Épicure, op. cit., 43-44.
  • 8 ↑ Aristote, Physique, IV, 8 ; VIII, 8.
  • 9 ↑ Épicure, op. cit., 46.
  • 10 ↑ Lucrèce, De la nature, II, 216-293.
  • 11 ↑ Épicure, op. cit., 60.
  • 12 ↑ Lucrèce, loc. cit. ; Diogène d'Œnoanda, Inscription épicurienne, fr. 54.
  • 13 ↑ Aristote, De l'âme, I, 2, 404a1-5.
  • 14 ↑ Épicure, op. cit., 63 ; Plutarque, op. cit., IV, 3.
  • 15 ↑ Épicure, De la nature, fr. 34.
  • Voir aussi : Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, trad. dir. par M.-O. Goulet-Cazé, Paris, 1999, livres IX-X.
  • Dumont, J.-P. (dir.), les Présocratiques, Gallimard, Paris, 1988.
  • Kirk, G., Raven, J., Schofield, M., les Philosophes présocratiques, Éd. universitaires Fribourg, Fribourg, et Le Cerf, Paris, 1995, pp. 433-465.
  • Long, A., Sedley, D., les Philosophes hellénistiques, t. 1, Paris, 2001.
  • Salem, J., l'Atomisme antique, LGF, Paris, 1997.

→ déclinaison, déterminisme, épicurisme




atomisme logique

Logique

Philosophie logique(1) de B. Russell, telle que ce dernier l'a lui-même dénommée.

S'inspirant de Peano, et parallèlement à Frege, Russell a élaboré un outil logique qui, rompant avec la tradition aristotélicienne, fournissait les moyens d'une critique rationnelle de la langue naturelle et d'une réduction du langage mathématique (logicisme).

D'emblée, son pouvoir analytique conduisit Russell à refuser le monisme idéaliste d'inspiration hégélienne de Bradley. Loin d'être une et accessible au terme d'un parcours dialectique, la réalité est foncièrement plurielle et connaissable par analyse progressive et partielle des relations externes entre ses éléments, ses atomes : « Une vérité isolée peut être entièrement vraie, [...] l'analyse n'est pas falsification »(2). La logique autorise l'analyse des propositions : à partir de propositions atomiques qui soit attribuent un prédicat à un particulier du genre : « ceci est rouge », soit relient deux particuliers comme dans : « ceci est à droite de cela », on peut construire, en recourant aux connecteurs et aux quantificateurs logiques, des propositions moléculaires du genre « ceci n'est pas rouge » ou « tous ces objets sont rouges », qui sont fonctions de vérité des propositions atomiques qu'elles contiennent. Aux propositions atomiques correspondent des faits atomiques qui les rendent éventuellement vraies : « Les choses du monde ont diverses propriétés, et entretiennent entre elles diverses relations. Qu'elles aient ces relations et ses propriétés sont des faits »(3). Si Russell ne reconnaît pas en 1918 de faits négatifs, disjonctifs, etc., il admet des faits généraux pour garantir la généralité de propositions du type « tous les hommes sont mortels ».

Une telle philosophie a des conséquences gnoséologiques et ontologiques importantes. D'abord, les atomes logiques auxquels on parvient par analyse doivent être connaissables. Russell admet une « connaissance directe » [acquaintance] aussi bien des particuliers perceptibles que des universaux qui correspondent aux prédicats et aux relations(4). En résulte un « réalisme analytique » qui se distingue du réalisme naïf en ce que les atomes sont non des choses prosaïques, mais des « données sensibles » [sense-data], et qui accepte en même temps un engagement de type platonicien sur les entités intelligibles que sont les universaux (engagement que Russell n'aura de cesse de limiter sans toutefois l'éradiquer totalement)(5).

Comme Russell le reconnaît lui-même, nombre de thèses de son atomisme logique doivent beaucoup à ses débats avec son élève Wittgenstein. Dans le Tractatus logico-philosophicus, ce dernier radicalise l'approche logiciste en faisant de la nouvelle logique l'unique critère de toute signification et de toute vérité. Seules sont douées de sens des propositions élémentaires qui nomment des objets et décrivent des états de choses ainsi que les propositions complexes qui sont fonctions de vérité des propositions élémentaires qu'elles contiennent (thèse d'extensionalité). Et toute proposition est l'image logique d'un fait du monde auquel elle a une relation d'isomorphie structurale qui la rend éventuellement vraie(6). Toutefois, Wittgenstein se garde bien de définir les objets ultimes et d'en faire comme Russell des données sensibles. L'objet simple n'apparaît que comme résultat de l'analyse. De plus, il est conduit dès 1929 à abandonner la thèse de l'indépendance des propositions élémentaires selon laquelle « les états de choses sont mutuellement indépendants ». Ainsi, les propositions qui attribuent une couleur à un objet ne peuvent être indépendantes : si un objet est rouge, il ne peut être en même temps bleu. Plus généralement, les propositions de couleur sont tributaires d'une grammaire des couleurs : « L'octaèdre des couleurs est grammaire car il dit que nous pouvons parler d'un bleu tirant sur le rouge mais non d'un vert tirant sur le rouge »(7). La généralisation de cette interdépendance des propositions à l'égard d'une « grammaire » conduira le « second Wittgenstein » à disqualifier l'approche logiciste du langage au profit d'une description minutieuse des différents jeux de langage gouvernant l'usage de la langue naturelle(8).

Dans une perspective différente, Quine, réactualisant la thèse de Duhem selon laquelle les énoncés d'une théorie scientifique ne peuvent affronter isolément le tribunal de l'expérience(9), professa un holisme à la fois sémantique et gnoséologique, la signification et la vérité relevant d'une appréhension globale et ne pouvant désormais résider en des atomes absolument séparés et indépendants(10).

Denis Vernant

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Russell, B., « Le réalisme analytique » (1911), [rééd. in Poincaré, Russell,...], Heinzmann, G., dir., A. Blanchard, Paris, 1986, pp. 296-304 ; Notre connaissance du monde extérieur (1914) trad. P. Devaux, Payot, Paris, 1969 ; « La philosophie de l'atomisme logique » (1918) in Écrits de logique philosophique, trad. J.-M. Roy, PUF, Paris, 1989.
  • 2 ↑ Russell, B., Histoire de mes idées philosophiques, trad. G. Auclair, Gallimard, Paris, 1959, chap. v, p. 80.
  • 3 ↑ Russell, B., Philosophie de l'atomisme logique, chap. ii, p. 351.
  • 4 ↑ Russell, B., Problèmes de philosophie, trad. F. Rivenc, Payot, Paris, 1989.
  • 5 ↑ Vernant, D., la Philosophie mathématique de B. Russell, Vrin, Paris, 1993.
  • 6 ↑ Wittgenstein, L., Tractatus, 3.11, 3.12 ; 4.014, 4.0141, trad. Granger, G., Gallimard, Paris, 1993, et Bouveresse, J., le Mythe de l'intériorité, Minuit, Paris, 1976, chap. i, § 6, pp. 176-184.
  • 7 ↑ Wittgenstein, L., Remarques philosophiques, trad. J. Faure, Gallimard, Paris, 1975, chap. iv, § 39, p. 73.
  • 8 ↑ Wittgenstein, L., Investigations philosophiques, trad. P. Klossowski, Gallimard, Paris, 1961, § 23, p. 125.
  • 9 ↑ Quine, W.V.O., La théorie physique, son objet, sa structure, 1914 ; Brenner, A., Duhem, science, réalité et apparence, Vrin, Paris, 1990, pp. 218-230.
  • 10 ↑ Quine, W.V.O., « Two Dogmas of Empiricism » (1951), rééd. in From a Logical Point of View, Harper & Row, New York, 1953, pp. 42-43.

→ donné, extentionalité, fonction, grammaire, holisme