logos
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Substantif grec qui signifie : 1. « parole, discours », latin vox, oratio ; 2. « raison », latin ratio. Logos dérive du verbe legein, qui signifie initialement « rassembler »(1) « compter »(2), puis « dire, raconter ».
Philosophie Antique
La notion de logos est polysémique. Trois orientations sémantiques principales peuvent cependant être distinguées :
1. Parole : le logos peut parfois signifier, péjorativement, la parole comme opposée à la réalité, relevant en ce sens du domaine de l'apparence. Précisément parce qu'il est apparence, le logos est accusé soit d'être inefficace, par opposition à l'acte dont il n'est que l'ombre(3) ; soit, au contraire, d'exercer, par le biais de la persuasion et même du mensonge, une puissance redoutable sur les âmes, à la manière d'une drogue(4). Mais le logos signifie aussi le discours argumentatif, par opposition au mythe, qui relève du récit(5). Dans la tradition biblique enfin, le logos peut avoir le sens de parole divine légiférante(6). Dans ce premier sens de « parole », le logos est avant tout expression, communication, manifestation. C'est peut-être en partie pour cette raison qu'il est image de Dieu, selon Philon(7) ; lumière venant dans le monde et incarnation divine en la personne du Christ, dans l'Évangile de Jean(8).
2. Pensée ou faculté de penser : le logos n'est plus extériorisation de la pensée, mais l'acte de penser lui-même, défini comme une discussion que l'âme a avec elle-même(9) ou comme un « discours intérieur »(10). Il s'oppose, en ce sens, à la langue (glossa) et à la parole (epos), il est raisonnement(11), calcul, proportion, relation(12). Chez Aristote, la définition est le logos auquel renvoie le nom, son explicitation(13). Mais le logos revêt aussi une dimension morale en tant qu'il intervient, à titre de règle, dans la définition de la vertu(14). Enfin, le logos est la raison en tant que faculté(15), qu'elle soit humaine ou divine ; en cela la notion de logos entre en compétition avec celle de nous.
3. Raison au sens de principe : le logos est alors principe d'unification, d'organisation et même de création, synonyme dans ce cas de « cause » ou de « Dieu » ; principe agent dans l'élaboration du cosmos, notamment dans la tradition stoïcienne ; archétype du monde sensible chez Philon. Dans le Prologue de l'évangile de Jean, le Logos est le « Verbe » au sens de parole, mais aussi de principe originel.
Héraclite est le premier à conférer au terme logos un sens philosophique : le logos est commun(16), il est mesure et principe de génération(17), il est parfois assimilé au feu, au destin, à Dieu répandu à travers le tout(18), il apparaît aussi, dans certains fragments, comme principe individuel de l'âme(19). Ce n'est qu'avec la tradition stoïcienne que le logos retrouvera un sens proche de celui que lui confère Héraclite. Auparavant, dès Parménide, le logos est décisivement associé au raisonnement dans sa dimension méthodique. Même si l'usage qu'en font les sophistes tend à jeter le doute sur sa fonction de recherche de la vérité, Platon, tout en insistant sur une conception du logos comme définition atteinte dans le cadre de la dialectique, méthode raisonnée de division, bute sur la difficulté de concevoir un logos faux, et ne parvient à expliquer la possibilité de l'erreur qu'en admettant la réalité du non-être : le logos faux lui-même est logos de quelque chose(20). Pour Aristote aussi, tout logos dit quelque chose de quelque chose, il affirme ou nie un prédicat d'un sujet, mais, étant donné le principe du tiers exclu, il est nécessairement vrai ou faux, sans que cela implique aucune reconnaissance d'une réalité du non-être. Aristote, pour qui seul un discours non contradictoire est véritablement logos(21), fait, en outre, du logos la différence spécifique qui permet de distinguer l'homme au sein du genre animal(22).
Selon les stoïciens, la perfection de sa propre raison permet à l'homme de vivre en accord avec le tout(23) ; le logos retrouve alors son sens de principe cosmique, il est la raison, c'est-à-dire Dieu, il est le principe agent qui informe le principe patient : la matière. En tant qu'intelligence rationnelle, Dieu est artisan(24) et même feu artisan, les stoïciens reprenant l'image héraclitéenne du logos assimilé au feu. Cette diffusion du logos, qui fait de lui un souffle parcourant le monde, est précisée par l'usage de l'expression logoi spermatikoi qui désigne les principes séminaux du cosmos, principes de causalité à l'œuvre dans l'accomplissement du destin(25).
Même s'il s'inscrit partiellement dans la lignée du stoïcisme, Philon d'Alexandrie propose, dans son interprétation de la Genèse, une approche originale du logos : le logos est l'intelligence divine dans l'acte même de création du monde intelligible, archétype de ce que sera le monde sensible(26), mais il est aussi une force habitant le monde sensible(27), un intermédiaire entre Dieu et le monde, dans la mesure où Philon le désigne comme « image » (eikon) de Dieu(28).
Annie Hourcade
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Homère, Odyssée, XXIV, 72.
- 2 ↑ Ibid., IV, 451.
- 3 ↑ Démocrite, B 145, in J.-P. Dumont (éd.), Les Présocratiques, Paris, La Pléiade, 1988.
- 4 ↑ Gorgias, éloge d'Hélène, 11-14, ibid., B 11.
- 5 ↑ Platon, Protagoras, 320 c.
- 6 ↑ Exode, 20 (le Décalogue).
- 7 ↑ Philon d'Alexandrie, De opificio mundi, 139.
- 8 ↑ Évangile selon Saint Jean, 1, 1.
- 9 ↑ Platon, Théétète, 189 e.
- 10 ↑ Aristote, Analytiques postérieurs, I, 76 b 24.
- 11 ↑ Parménide, B7, 5 ; 8, 50, in J.-P. Dumont (éd.), Les Présocratiques, op. cit.
- 12 ↑ Par exemple, Platon, Cratyle, 393 c.
- 13 ↑ Aristote, Métaphysique, III, 7, 1012 a 23-24.
- 14 ↑ Aristote, Éthique à Nicomaque, II, 1106b35.
- 15 ↑ Par exemple, Platon, République, IV, 440 b.
- 16 ↑ Héraclite, B 2, in J.-P. Dumont (éd.), Les Présocratiques, op. cit.
- 17 ↑ Ibid., B 1
- 18 ↑ Ibid., A 8.
- 19 ↑ Ibid., B 45.
- 20 ↑ Platon, Sophiste, 263 a.
- 21 ↑ Aristote, Métaphysique, III, 4, 1006 a 11 sqq.
- 22 ↑ Aristote, Politique, I, 1253a10.
- 23 ↑ Diogène Laërce, VII, 87-89.
- 24 ↑ Id., 134.
- 25 ↑ Long, A. A. & Sedley, D. N., Les Philosophes hellénistiques, Paris, 2001, 46 A (t. II, pp. 253-254).
- 26 ↑ Philon d'Alexandrie, De opificio mundi, 24.
- 27 ↑ Philon d'Alexandrie, De mutatione nominum, 116.
- 28 ↑ Philon d'Alexandrie, De opificio mundi, 25 ; 139.
- Voir aussi : Calame, C. (éd.), le Logos grec : mises en discours, Paris-Lausanne, 1986.
- Cassin, B., « Enquête sur le logos dans le Traité de l'âme », in Aristote et le logos. Contes de la phénoménologie ordinaire, pp. 103-138, Paris, 1997.
- Couloubaritsis, L., « Transfiguration du Logos », Annales de l'Institut de philosophie et de sciences morales, pp. 9-49, 1984.
- Heinze, M., Die Lehre vom Logos in der griechischen Philosophie, Oldenburg, 1872, réimpr. Aalen, 1984.