empirisme

(grec empeiria, expérience)

Claude Bernard
Claude Bernard

Doctrine philosophique selon laquelle toutes les connaissances procèdent de l'expérience sensible.

PHILOSOPHIE

Opposé au rationalisme de Descartes ou de Leibniz, l'empirisme considère l'esprit humain comme une « table rase » qui ne peut accueillir de savoir que probable, car expérimental, constitué à partir des sensations et de leur association selon certaines lois. Après avoir largement contribué, au siècle des Lumières, à la remise en cause des prétentions de la métaphysique, il a exercé une influence déterminante sur l'évolution ultérieure de la pensée anglo-saxonne.

C'est par référence à l'école « empiriste » des médecins, pour qui seuls comptent les phénomènes pathologiques – parce qu'ils indiquent par eux-mêmes les remèdes à prendre –, que le philosophe Sextus Empiricus (iie-iiie s. après J.-C.) lui donnait le sens qu'il a conservé dans l'histoire des idées : celui d'une doctrine posant que l'on peut faire un usage exclusif de l'expérience sans théorie.

Si l'usage de l'empirisme n'a rien de péjoratif pour Sextus Empiricus, les progrès de la science l'ont fortement dévalorisé. Pour Claude Bernard, il n'est « rien autre chose qu'une sorte d'expérience inconsciente et comme instinctive acquise par l'habitude et la pratique même des choses » (Principes de médecine expérimentale, 1865). Cependant, l'empirisme a eu une portée plus ambitieuse. S'il ne constitue pas un système philosophique, ou une école unique, on peut le définir comme l'affirmation selon laquelle nos connaissances ne sont pas données a priori, mais sont acquises de l'expérience.

La théorie de la signification

La théorie empiriste de la signification est traditionnellement présentée comme une théorie de la genèse de nos idées ou de nos concepts. Au Moyen Âge, cette conception était résumée dans la formule latine : Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu (« Il n'est rien dans l'intellect, qui n'ait auparavant été dans la sensation »). Telle est pour l'essentiel la thèse de l'écrit polémique de John Locke, Essai sur l'entendement humain (1690), dirigé contre la doctrine rationaliste des idées innées. À la naissance, dit Locke, l'esprit est comme une feuille de papier vierge ou une table vide, une tabula rasa, et toutes les idées qu'il acquiert par la suite ne peuvent venir que de l'expérience – de la vision, de l'ouïe, du goût, du toucher et d'autres expériences sensorielles, ou bien de l'observation des opérations de notre propre esprit au moyen de ce que Locke appelle le « sens interne ».

David Hume, qui reformule cette théorie de la genèse des idées dans les premiers paragraphes de son Traité de la nature humaine (1739-1740), lui donne plus de vigueur et de précision en distinguant idées et impressions. Toutes nos idées, dit-il, viennent de nos impressions – terme dans lequel il inclut les sensations, les passions et les émotions, telles qu'elles se produisent dans leur vivacité première.

Au xxe s., les empiristes axent moins leur théorie de la signification sur la genèse de nos concepts que sur les expériences qui permettent de déterminer si un concept a été employé correctement. Un exemple remarquable de ce déplacement nous est fourni par la théorie pragmatique de la signification, formulée originellement par le philosophe américain Charles Sanders Peirce dans la maxime suivante : « Considérez, dans leur portée pratique concevable, les effets que peut avoir l'objet de votre conception. Alors votre conception de ces effets constitue la totalité de votre conception de l'objet. »

Une position tout à fait similaire se retrouve dans la pensée de Ludwig Wittgenstein et du positivisme logique, pour lesquels la signification est liée au principe de vérifiabilité. De quelque manière que l'on formule la théorie empiriste de la signification, certains termes de base sont généralement exclus comme dénués de sens, tant qu'ils ne sont pas réinterprétés sur un plan purement empirique. Ainsi, pour un empiriste-type, l'âme ne peut être conçue que comme un flux d'expériences de conscience, la matière seulement comme un assemblage de qualités sensibles, et les relations causales nécessaires seulement comme des successions constantes d'événements.

La théorie de la connaissance

Quelle que soit la source de nos concepts, une autre question se pose relativement à l'origine de la connaissance humaine et à la justification de nos convictions. Les rationalistes ont traditionnellement soutenu qu'il existe certaines vérités générales – telle la phrase « tout événement a une cause », tels aussi les propositions élémentaires des mathématiques et quelquefois les principes éthiques de base –, qui sont par elles-mêmes évidentes et connues a priori au moyen de l'intuition rationnelle. Les empiristes contestent que nous possédions une telle faculté d'intuition rationnelle. Pour la plupart, toutefois, ils concèdent que les vérités mathématiques sont bien des vérités a priori, qui doivent à ce titre être nettement distinguées des vérités mises au jour par la physique, la biologie, la psychologie et les autres sciences de la nature. Dans ces derniers domaines, nos connaissances sont acquises a posteriori, au moyen de l'expérimentation, de l'observation et de l'induction, tandis qu'une telle méthode expérimentale n'a aucune place dans la résolution des problèmes de mathématique pure.

Pour rendre compte de cette distinction, l'empiriste fait habituellement valoir que les vérités des mathématiques sont de simples propositions qui expriment les relations de sens établies entre nos concepts. Ainsi, la formule « deux plus deux égalent quatre » n'est vraie qu'en vertu de la manière dont sont définis les termes « deux », « plus », « égalent » et « quatre », tout comme les théorèmes de géométrie ne sont vrais qu'en vertu de la manière dont sont définis des termes tels que « ligne », « point », « entre ». Autrement dit, toutes les propositions mathématiques de ce type ont le même statut épistémique que l'énoncé « toute épouse possède un mari », qui est vrai parce que le mot « épouse » ne signifie rien d'autre que « femme mariée ». Elles sont toutes tautologiques, au sens large du terme. Hume formule cette théorie empiriste des mathématiques en distinguant « relations d'idées » et « états de fait » : les propositions des mathématiques ne font qu'exprimer des rapports entre nos idées ou nos concepts, tandis que toute connaissance relative aux états de fait (c'est-à-dire au monde réel) doit être tirée de l'expérience.

Le couple terminologique « analytique » /« synthétique », introduit par Kant, a permis aux philosophes ultérieurs de formuler la question d'une manière encore plus précise. Un jugement est analytique, pour Kant, si sa vérité peut être établie par la simple analyse des concepts qu'il met en jeu. Inversement, un jugement est synthétique si son prédicat ajoute vraiment quelque chose de nouveau à l'objet. Nous pouvons dès lors définir un empiriste comme quelqu'un qui pense que toute vérité rationnelle (a priori) est analytique. Dans la Critique de la raison pure (1781, revue en 1787), Kant soutient pour sa part la thèse rationaliste qu'il existe certaines vérités synthétiques a priori. Il nie cependant que ces vérités excèdent toute expérience humaine possible.

Après 1940, certains philosophes – tel Willard Quine aux États-Unis – contestent la distinction entre jugement analytique et jugement synthétique. Ils suggèrent la possibilité d'un empirisme encore plus rigoureux que celui de Hume – un empirisme qui nierait toute connaissance a priori.

Claude Bernard
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Emmanuel Kant
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John Locke
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