métaphysique

(latin metaphysica, du grec meta ta phusika, après le traité de physique)

Platon
Platon

Discipline philosophique considérée par Platon comme le couronnement de toutes les connaissances et, depuis Descartes, comme le fondement de la philosophie, cette science supérieure a pour ambition de pénétrer dans un monde situé hors de l'espace et du temps, plus réel et plus vrai que celui des objets physiques. La « philosophie première » est vouée, en fait, à l'étude de l'être et des principes fondamentaux.

Avant d'être réunis en un seul ouvrage, plusieurs traités composés par Aristote sur les objets les plus abstraits de la pensée humaine furent désignés par l'auteur lui-même ou par l'un de ses commentateurs (Théophraste ou Andronicos de Rhodes) sous le titre: Ta meta ta phusika, c'est-à-dire « ce qui vient après, ou ce qui doit être lu après, le traité de physique ». Les quatre mots grecs ne formèrent plus, vers le ie s. après J.-C., qu'un seul mot latin: metaphysica. Dès lors, la métaphysique devint le nom d'une branche nettement distincte de toutes les autres disciplines de la philosophie, dont elle représente la base nécessaire mais aussi le sommet le plus élevé.

Objet et sujet d'une philosophie première

Tous les philosophes ont été confrontés au problème de la définition de la métaphysique, de sa nature, de son objet, de ses difficultés et de ses limites. Car tous ont posé la question de l'existence d'une science plus générale et plus élevée que les autres, qui permettrait de les comprendre toutes. Mais une telle science peut être recherchée dans deux directions : elle peut se concevoir tout d'abord, comme ce fut le cas dans l'Antiquité, par rapport à son objet, ou bien, comme dans la philosophie de Kant, par rapport au sujet de la pensée.

La métaphysique, en tant que philosophie première, est la science des plus hauts objets de la pensée, c'est-à-dire, selon Aristote, des causes premières de toutes choses. D'autre part, pour accéder à la connaissance de ces causes, il faut dégager les principes sur lesquels repose la pensée (Leibniz). Ainsi, si l'on considère son objet, la métaphysique se définit comme la science de l'être en tant qu'être ; en revanche, si l'on considère le sujet de toute science, elle se définit comme la science des premiers principes. Toutes nos connaissances particulières tiendraient alors leur certitude d'une telle science (méta- ou supraphysique), à condition toutefois qu'elle fût possible. Or la réponse à la question de la possibilité de la métaphysique engage chaque système philosophique dans l'une des trois grandes orientations suivantes : le rationalisme dogmatique, le scepticisme, le relativisme critique.

Le rationalisme dogmatique

Le dogmatisme proprement dit, qui consiste à affirmer la possibilité d'une connaissance absolument vraie, suppose l'existence d'une réalité qui puisse être l'objet d'une telle connaissance.

Le monde des Idées de Platon

Telle est précisément la thèse de Platon, sans doute le premier et le plus grand des métaphysiciens, dont toute l'œuvre, exaltant la beauté du monde intelligible, nous invite à tourner nos regards et notre pensée vers le ciel des Idées, réalités absolues et souveraines. Selon Platon, la plus haute de ces réalités, la dernière que l'on puisse atteindre dans le monde intelligible, est l'Idée du Bien : elle est éblouissante, et il est aussi difficile de la contempler que de regarder le soleil en face. Principe de toutes choses, elle est au-delà des autres Idées, qu'elle surpasse en dignité et en puissance. Principe de vie et de création, l'Idée du Bien, absolument première, est la raison de tout, qui justifie et provoque toute existence. Au-dessus d'elle, il n'y a plus et il ne peut plus y avoir d'autre entité. Inconditionnée, elle est la condition suprême. Le mythe de la caverne résume en un tableau saisissant la conversion philosophique qui doit nous amener à quitter la caverne du monde sensible, où défilent des ombres, pour lever notre regard vers le soleil du monde intelligible. S'élever jusqu'à l'Idée du Bien et entrevoir furtivement ce principe absolu, tel est le couronnement de l'ascension métaphysique à laquelle sont conviés les apprentis philosophes, jusque-là prisonniers de notre monde d'images.

La recherche des principes

À la suite et au-delà du platonisme, des métaphysiciens, tels que Descartes, Spinoza, Malebranche, Leibniz, Hegel, cherchent les principes de toutes choses dans une Raison (ou Logos) qui ne réside pas seulement dans l'esprit de l'homme – « animal raisonnable », selon Aristote –, mais dans la Nature tout entière, ou en Dieu. Car l'objectif de la métaphysique est double. Il consiste, d'une part, à déterminer ce qu'est l'être de tout ce qui « est » ou « existe » (la métaphysique se définit comme une ontologie) et, d'autre part, à dégager les premiers principes de toute connaissance, l'être de la pensée et de ses « catégories » (la métaphysique se présente alors comme une logique fondamentale).

La place de Dieu

Enfin, la métaphysique vise à régler, au plus haut niveau, les rapports entre la pensée et l'être préalablement identifiés, ce qui conduit cette discipline à revendiquer la place et la fonction de la théologie. « Pendant que Dieu calcule, dira Leibniz, le monde se fait. » Mais l'identification de la pensée et de l'être, de Dieu et du monde, est portée à son comble dans la métaphysique moniste et panthéiste de Spinoza, qui ne reconnaît qu'une seule substance, qu'un seul être : Dieu ou la Nature (Deus sive Natura). Pour lui, « l'ordre et la connexion des idées sont les mêmes que l'ordre et la connexion des choses », de sorte que la plus haute connaissance rationnelle est celle de la nécessité absolue.

La mise en question de la transcendance

Du scepticisme à l'empirisme

Dès l'Antiquité, en réaction contre le rationalisme dogmatique dont ils soulignaient les contradictions, les sceptiques (Pyrrhon, Sextus Empiricus) dénonçaient la vanité des explications métaphysiques et religieuses, sources de tout fanatisme. Plus tard, l'empirisme sensualiste (Locke, Hume) nia toute possibilité d'atteindre une connaissance absolument vraie, soit parce que nous n'avons pas d'autre accès à la connaissance que les sens, et que ceux-ci ne nous donnent que des vérités particulières et contingentes, soit parce que la nature ne nous offre qu'un cours incessant de phénomènes divers et changeants. Dès lors, la métaphysique, qui cherche à dépasser le sensible pour nous faire pénétrer dans le monde intelligible, n'exprime plus qu'une prétention non fondée. Avec l'empirisme, soucieux de ne pas quitter le terrain de l'expérience, se précise ainsi un courant hostile à la métaphysique et, plus généralement, à toute espèce de transcendance.

De Nietzsche au cercle de Vienne

Dans ce courant s'inscrit Nietzsche, qui dénonce l'« illusion des arrière-mondes », suscitée et entretenue par la métaphysique. Mais c'est surtout le « manifeste » du cercle de Vienne (1929) qui reprendra et durcira contre la métaphysique, au nom de la logique et d'une « conception scientifique » du monde, les arguments du nominalisme, déjà présentés par Guillaume d'Occam. En particulier, Rudolf Carnap publie en 1931 son Dépassement de la métaphysique par l'analyse logique du langage, qui veut porter l'estocade décisive en montrant que les prétendus énoncés métaphysiques sont dépourvus de sens. Tous les grands logiciens, tels Bertrand Russell et Ludwig Wittgenstein, souscrivent à cette disqualification du langage de la « métaphysique » pour cause de non-sens. Cette critique s'étend même à la philosophie de Hegel et à celle de Heidegger, mais ne récuse pas le sentiment de la vie dont procède leur « métaphysique ». Ce sentiment s'exprime bien mieux par la poésie ou la musique, tandis que « les métaphysiciens, écrit Carnap, sont des musiciens sans talent musical ».

La réhabilitation de la métaphysique

Le relativisme critique – notamment l'idéalisme transcendantal de Kant et le positivisme d'Auguste Comte – admet qu'il existe dans la pensée des éléments invariables (ou idées), mais il rejette leur parenté avec les choses. Il ne leur reconnaît aucune valeur objective, mais il les tient pour des formes constitutives de notre subjectivité. Tout en répudiant l'empirisme, il dénie à la connaissance tout pouvoir pour atteindre une vérité absolue. Cependant, le destin réservé à la métaphysique est très différent selon qu'on se réfère à Kant ou à Auguste Comte.

Le relativisme critique

Emmanuel Kant

Pour Kant, il n'y a de science possible que celle des phénomènes ayant lieu dans l'espace et dans le temps : la métaphysique, qui prétend accéder à des réalités supérieures en dehors de ce cadre spatio-temporel, ne peut donc pas être une science. C'est pourquoi, se déployant sans contrainte expérimentale dans « le vide de l'entendement pur », elle se présente comme le champ de bataille de diverses doctrines, dont aucune ne peut définitivement triompher, faute d'une pierre de touche qui désignerait le vainqueur. Cependant, elle est une forme de pensée à laquelle la raison, portée par son invincible élan à dépasser les bornes de toute expérience, ne peut se soustraire. Ainsi, au-delà du savoir proprement dit, Kant réserve une place privilégiée à la croyance en tant que telle.

Reconduite dans ses frontières et désavouée par Kant comme science de l'être, la métaphysique est réhabilitée comme dimension supranaturelle d'un sujet habité par le devoir-être, à savoir l'homme, considéré non plus en tant que sujet simplement connaissant, mais en tant que sujet moral. Au sens kantien, elle est l'aspiration de l'être humain qui ne peut se contenter de « garder des yeux de taupe fixés sur l'expérience », alors qu'il est « fait pour se tenir debout et contempler le ciel ». Il découvre alors, au-delà de tout concept, les postulats de la raison pratique – la liberté, l'immortalité de l'âme, l'existence de Dieu –, qui sont à la fois indispensables et inconnaissables.

Arthur Schopenhauer

Dans la postérité de la philosophie kantienne, la métaphysique de Schopenhauer repousse à la fois les systèmes matérialistes, le scepticisme absolu et le spinozisme : l'explication métaphysique du monde répond à un besoin humain profond et tout-puissant qui vient aussitôt après le besoin physique. De ce besoin métaphysique témoignent, dit Schopenhauer, « dans tous les pays et à toutes les époques, temples, églises, pagodes et mosquées, dans leur magnificence et leur grandeur ». Mais ce besoin métaphysique ne va pas de pair avec la capacité métaphysique. C'est pourquoi, la plupart du temps, les hommes se laissent divertir par des fables ridicules et des contes de mauvais goût.

Cependant, deux sortes de doctrines métaphysiques prétendent « dépasser l'expérience » et « montrer ce qu'il y a derrière la nature ». Les unes sont des systèmes philosophiques qui ne sont accessibles qu'à un très petit nombre d'hommes et qui ne se produisent et ne se conservent que dans les civilisations avancées. Les autres sont des métaphysiques populaires, communément appelées « religions », et se trouvent chez tous les peuples. Destinées aux foules incapables de saisir directement les vérités les plus profondes, les religions procèdent par allégorie et s'entourent de mystères. Quant aux systèmes philosophiques, ils naissent de notre étonnement devant le monde et devant notre propre existence, disqualifiant d'emblée, selon Schopenhauer, le spinozisme aussi bien que tout monisme et tout panthéisme : cet étonnement nous distingue (métaphysiquement) du monde et nous fait concevoir sa non-existence comme également possible ; il atteste que le monde n'est pas une « substance absolue » dont l'existence serait absolument nécessaire.

Schopenhauer reprend la distinction kantienne entre le phénomène (objet de la physique) et la chose en soi (objet de la métaphysique). En revanche, loin de la bannir du champ de la connaissance, il fonde la métaphysique sur l'impuissance de la physique à fournir l'explication dernière des choses : « Sans doute, écrit-il, tout est explicable par la physique, mais alors rien n'est expliqué. » Pour sa part, Schopenhauer identifie la chose en soi (définie par Kant comme inconnaissable) à la volonté, « essence intime de toute chose dans la nature ».

La question de l'être et l'existence de Dieu

Auguste Comte

Avec Auguste Comte, la métaphysique perd son droit d'aînesse au profit de la théologie, qui la précède historiquement et dont elle n'est qu'une forme affaiblie et dégradée. Distinguant en effet trois âges successifs de l'humanité (théologique, métaphysique, positif), le fondateur du positivisme n'accorde à l'âge médian qu'un rôle transitoire et purement négatif, quoique inévitable. La métaphysique n'est rien d'autre qu'une théologie dans laquelle une idée vague – celle de Dieu – est remplacée par une idée faible – celle de la nature. Le besoin métaphysique n'est qu'un succédané de l'élan théologique initial, qui ne trouvera sa pleine satisfaction qu'à l'âge positif, dans la seule religion vraiment rationnelle et universelle : la religion de l'humanité dont le positivisme doit préparer l'avènement.

Martin Heidegger

Avec Heidegger s'effectue le retour à la question de l'être et, plus précisément, à la question du sens de l'être – question qui, selon l'auteur de Être et Temps (1927), aurait été oubliée par la métaphysique occidentale. Dans de savantes analyses de textes des grands métaphysiciens et dans sa propre pensée refusant toute frivolité métaphysique à l'égard de l'être, Heidegger s'emploie à laisser apparaître les fondements mêmes de la philosophie et son « impensé » radical. À terme, dans une poétique proche de celle qui se déploie depuis Kierkegaard dans les « théologies négatives », Heidegger nous invite à rester à l'écoute de l'être, dont le « langage » est l'authentique « demeure ». De ce fait, de même que Spinoza, en son temps, fut pour les uns un métaphysicien « ivre de Dieu » et, pour les autres, « un abominable athée », Heidegger est considéré tantôt comme le fossoyeur d'une métaphysique qu'il ensevelit dans la philologie, tantôt comme le plus profond et le plus exigeant des grands métaphysiciens.

Comme en témoigne ce dernier avatar d'une vieille question : Qu'en est-il de l'être en tant qu'être ?, la métaphysique ne se laisse pas aisément « oublier » ; elle semble vouée à renaître perpétuellement de ses cendres sous la forme de la plus insidieuse des interrogations : Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Mais la métaphysique ne se présente plus désormais comme une « réponse » à cette question, ni même comme une « science » ou une « connaissance ». Elle exprime en revanche une inquiétude fondamentale et proprement humaine, qui est à la racine de toute activité et de toute connaissance.