Gilles Deleuze

Philosophe français (Paris 1925-Paris 1995).

Gilles Deleuze est l’auteur d’une des œuvres théoriques les plus importantes et les plus influentes du xxe s. Ses livres sur l’histoire de la philosophie, la psychanalyse, ou sur l’art, le cinéma et la littérature, sont célèbres dans le monde entier. Il fut aussi l’une des grandes figures de l’engagement intellectuel.

De la Sorbonne à Vincennes

Gilles Deleuze fait ses études secondaires au lycée Carnot, à Paris. Entré à la Sorbonne en 1944, il y suit un cursus de philosophie et passe l’agrégation en 1948. Il occupe alors des postes d’enseignement dans différents lycées (à Amiens, à Lyon, à Paris [Louis-le-Grand]), puis, après la soutenance, en 1969, de sa thèse intitulée Différence et répétition, il devient professeur à l’université expérimentale de Paris VIII-Vincennes, où il donnera des cours attirant un public très nombreux jusqu’à sa retraite, en 1987.

Un historien de la philosophie

Les premiers livres de Gilles Deleuze sont des ouvrages d’histoire de la philosophie de facture assez classique. Mais ceux-ci lui permettent d’acquérir une grande renommée dans le cercle restreint des philosophes. L’originalité de sa démarche consiste à étudier des auteurs considérés à ce moment-là comme mineurs par la tradition universitaire, c’est-à-dire à restituer des courants de pensée souvent négligés, voire oubliés. Il publie ainsi des études sur Hume (Empirisme et subjectivité, 1953), Nietzsche (Nietzsche et la philosophie, 1962), Bergson (le Bergsonisme, 1966), Spinoza (Spinoza et le problème de l’expression, 1968) – autant d’auteurs qui, dit-il, ont pour point commun de s’opposer au rationalisme qui domine la philosophie et d’être négligés par le hégélianisme alors tout-puissant dans les cercles intellectuels. Il publie également un petit livre sur Kant (la Philosophie de Kant, 1963).

Contre la psychanalyse

Gilles Deleuze est transformé par les événements de mai 1968, qui le font entrer en politique. Il s’engage alors très fortement, avec Michel Foucault notamment, dont il est très proche, aux côtés des travailleurs, des immigrés, des prisonniers, des homosexuels… De plus, sa rencontre avec le psychanalyste Félix Guattari, en 1969, oriente son travail dans une nouvelle direction : la critique de la psychanalyse. Ils publient ensemble des livres comme l’Anti-Œdipe (1972) ou Mille Plateaux (1980), qui constituent une charge féroce contre la notion de complexe d’Œdipe et contre la psychanalyse elle-même, mais qui peuvent plus globalement se lire comme une remise en cause de l’ensemble des dispositifs théoriques, politiques ou pratiques qui répriment les désirs.

Dans la perspective de Deleuze et Guattari, le désir n’est plus conçu comme un manque, mais comme une production, une affirmation. En 1975, leur livre intitulé Kafka, pour une littérature mineure propose une nouvelle théorie de l’inconscient. Contrairement à la tradition analytique, celui-ci n’est plus conçu comme familial et personnel, mais, au contraire, comme essentiellement collectif, et, par là même, historique et politique.

Une philosophie de l'art

Gilles Deleuze consacre une grande partie de son œuvre à l’étude de l’art et de la littérature. L’un de ses premiers livres a pour titre Proust et les signes (1964). Il publiera également une étude sur Samuel Beckett (l’Épuisé, 1992) et un livre de théorie de la littérature (Critique et clinique, 1993). Deleuze s’intéresse aussi à la peinture, notamment celle de Francis Bacon (Logique de la sensation, 1981). Enfin, il écrit deux livres, qui font événement, sur l’image et le cinéma : Cinéma 1 - l’Image-mouvement (1983) et Cinéma 2 - l’Image-temps (1985).

Pour Deleuze, la philosophie n’a pas à être considérée comme une discipline qui réfléchit sur des activités ou des problèmes, et dont la mission ne consisterait qu’à interpréter et dire le « sens » de divers registres de l’existence. La philosophie lui apparaît, au contraire, comme une activité créatrice au même titre que toutes les autres pratiques artistiques. Ainsi, il écrit, dans Qu’est-ce que la philosophie ? (1991), signé avec Félix Guattari : « La philosophie n’est ni contemplation, ni réflexion, ni communication. Elle est l’activité qui crée des concepts. »

Gilles Deleuze en vingt-six lettres

Gilles Deleuze a toujours refusé de participer à une émission de télévision. Néanmoins, à la fin des années 1980, il accepte d’enregistrer un Abécédaire (réalisé par Pierre André-Boutang), qui, selon sa volonté, ne doit être diffusé qu’après sa mort. Dans celui-ci, il répond aux questions de la journaliste Claire Parnet en une succession de séquences organisées autour de 26 mots, un par lettre de l’alphabet, de A comme « animaux » à Z comme « zigzag ». Il se prête aussi bien à des confidences biographiques (sur son enfance, la maladie, son enseignement, ses habitudes, etc.) qu’à des développements philosophiques (sur Kant, Spinoza, le désir, la musique, le style, la littérature, etc.). Ce document vidéo permet aussi de voir le philosophe réfléchir sur des sujets apparemment anodins ou secondaires (par exemple, le tennis, la boisson, l’opéra, les voyages), ce qui lui donne l’occasion de faire fonctionner ses concepts sur des objets inattendus, et par là de montrer à la fois leur force et leur originalité.