Sollicité par la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Élisabeth Guigou, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) considérait dans son avis du 15 juin 2001 que « la reconnaissance de la responsabilité des professionnels dans un préjudice dont l'enfant serait victime conduit à la déduction qu'il eût mieux valu qu'il ne naquît pas, voire qu'il avait un droit à ne pas naître handicapé, compte tenu de la piètre qualité de vie qui lui est proposée ». Cela « risquerait de faire peser sur les parents, les professionnels du diagnostic prénatal et les obstétriciens une pression normative d'essence eugénique », soulignait le Comité d'éthique, dont deux membres, Henri Caillavet et Jean-Pierre Changeux, se sont abstenus en exprimant de « sérieuses réserves » sur l'avis.

La jurisprudence Perruche

Le 6 juillet 2001, l'assemblée plénière de la Cour de cassation examina trois affaires où des malformations portant sur le système nerveux ou sur un membre supérieur n'avaient pas été décelées lors des examens échographiques en cours de grossesse, mais, contrairement à l'affaire Perruche, après le délai légal d'IVG. Estimant que les conditions prévues dans la loi de 1975 pour un avortement thérapeutique n'étaient pas réunies, la Cour de cassation rejetait les demandes d'indemnisation des enfants. La haute juridiction confirmait cependant la jurisprudence Perruche, en précisant que « l'enfant né handicapé peut demander la réparation du préjudice résultant de son handicap si ce dernier est en relation de causalité directe avec les fautes commises par le médecin dans l'exécution du contrat formé avec sa mère et qui ont empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse ».

La « solidarité nationale »

L'Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales (Unapei) demanda un débat au Parlement : « Le législateur doit faire un signe pour montrer au pouvoir judiciaire qu'il ne le laisse pas seul face à ces questions. » Pour sa part, l'Association des paralysés de France (APF) rejetait les accusations d'eugénisme : « C'est l'impact de la faute médicale qui est condamné. La cour indemnise l'enfant parce qu'il est handicapé et pas parce qu'il est né. Le vrai débat porte sur les moyens qu'une société donne aux personnes handicapées pour qu'elles vivent correctement », déclara la présidente de l'APF, Marie-Sophie Desaulle.

Le 5 décembre 2001, à l'initiative des professeurs René Frydman et Israël Nisand, plusieurs spécialistes du dépistage prénatal annonçaient qu'ils cesseraient toute activité de dépistage des malformations au 1er janvier 2002. La menace ne sera finalement pas mise à exécution du fait de l'évolution du débat parlementaire.

Le 13 décembre 2001, les députés examinèrent une proposition de loi déposée par Jean-François Mattei, reprenant son amendement battu en janvier de la même année. Les députés du PCF « approuvaient sur le fond ce texte ». Le Mouvement des citoyens avait déposé en septembre une proposition de loi allant dans le même sens. Au sein du RPR, l'ancien garde des Sceaux Jacques Toubon et Patrick Devedjian s'interrogeaient. « Il serait assez paradoxal de considérer que celui qui subit le handicap de plein fouet soit le seul à être privé de réparation », indiquait M. Devedjian. Les débats furent renvoyés au 10 janvier 2002, dans le cadre du débat sur le projet de loi relatif aux droits des malades. Ayant non sans mal arrêté une position, le gouvernement présenta un amendement au texte de M. Mattei, afin de limiter le cadre de la responsabilité médicale aux situations où existe « une faute qui a provoqué le handicap, qui l'a aggravé ou ne l'a pas atténué » et de préciser que, dans les cas analogues à ceux de l'affaire Perruche, « seuls les parents peuvent demander une indemnisation ». Le texte de M. Mattei amendé par le gouvernement fit consensus à l'Assemblée, mais à la suite d'amendements des sénateurs, le texte définitivement adopté par le Parlement, le 19 février 2002, a restreint le droit à réparation au seul préjudice moral des parents. Il précise que le préjudice « ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap » et que « la compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale ». Ainsi, l'article premier de la loi sur les droits des malades, visant à mettre fin à la jurisprudence Perruche, a-t-il, du même coup, mis un terme à la jurisprudence Quarez du Conseil d'État. À présent, tant parmi les politiques que parmi les associations, des voix demandent à revoir le dispositif d'indemnisation des handicaps congénitaux.