Suivant les conclusions formulées par le conseiller Pierre Sargos dans le rapport qui a servi de base de discussion à la Cour, l'arrêt de principe, rendu le 17 novembre, prenait le contre-pied de cette argumentation. La Cour de cassation estimait que « dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l'exécution des contrats formés avec [la mère de Nicolas Perruche] avaient empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues ». Rejetant d'envisager « biologiquement » le lien de causalité – entre la faute commise et le dommage subi –, les magistrats estimaient que Nicolas Perruche était un tiers au contrat entre le médecin et sa mère enceinte.

Réfutant les accusations d'« eugénisme » de l'avocat général, le conseiller Sargos expliquait que « l'eugénisme implique une dimension collective, nécessairement criminelle, alors que [la loi Veil du 17 janvier 1975 sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG)] est pour la femme une loi de responsabilité » que « tous les habitants de notre pays doivent respecter ». Pierre Sargos invoquait un autre « principe de base », « celui de réparer le préjudice causé à autrui par une faute ». Le dénier dans le cas de Nicolas Perruche serait « nier l'atteinte du potentiel humain qui résulte du handicap et nier par là même son préjudice ». Défendant le principe de l'indemnisation en refusant de dissocier le handicap de la faute, le rapport suivi par les magistrats de la Cour de cassation précisait que le préjudice réparable était « exclusivement celui qui résulte du handicap qui va faire peser sur l'enfant pendant toute son existence des souffrances, charges, contraintes, privations et coûts de toute nature » et non pas « la naissance et la vie même de l'enfant ».

Le « préjudice d'être né »

« Certaines vies ne vaudraient pas la peine d'être vécues. »

Malgré ces précisions, les réactions hostiles se sont cristallisées sur ce qui était dénoncé comme la reconnaissance d'un « préjudice d'être né » ou du fait que « certaines vies ne vaudraient pas la peine d'être vécues ».

Jusqu'à l'arrêt Perruche, en cas de faute médicale ayant conduit à ne pas déceler un handicap au cours de la grossesse, la jurisprudence accordait des indemnisations aux parents mais pas aux enfants. Le Conseil d'État avait, avec l'arrêt Quarez, contourné la difficulté. Rendu le 14 février 1997, cet arrêt concernait l'enfant Mathieu Quarez, dont la trisomie 21 n'avait pas été diagnostiquée au cours de la grossesse à la suite d'une faute médicale. Le Conseil d'État avait refusé d'indemniser l'enfant, mais avait inclus la charge de son entretien dans l'indemnisation accordée à ses parents, sans que cette décision soulève des protestations.

Deux semaines après l'arrêt de la Cour de cassation, un « Collectif des parents contre l'handiphobie », regroupant une centaine de familles, en appelait aux parlementaires. Le Syndicat national des ultrasonologistes diplômés (qui regroupe des médecins pratiquant l'échographie) se tournait également vers la représentation nationale : « Il faut que vous soyez informés que l'échographie obstétricale est actuellement menacée de disparition pure et simple par un récent arrêt de la Cour de cassation. » Même si, dans l'affaire Perruche, il n'est pas question d'examens d'échographie, ces praticiens s'inquiétaient de voir leurs rangs se clairsemer en raison des risques judiciaires et de l'augmentation exponentielle des tarifs pratiqués par les assureurs : d'une année sur l'autre, les tarifs vont ainsi être multipliés par huit ou dix.

À l'Assemblée nationale, le 9 janvier 2001, le député Démocratie libérale Jean-François Mattei faisait adopter par la commission des affaires sociales, avec le soutien du communiste Maxime Gremetz, un amendement au projet de loi de modernisation sociale du gouvernement : « La vie constitue le bien essentiel de tout être humain, nul n'est recevable à demander une indemnisation du fait de sa naissance. » L'amendement précisait cependant que « lorsqu'un handicap est la conséquence directe d'une faute et non de la nature, il ouvre le droit à réparation dans les termes de l'article 1382 du Code civil ». Lors du débat à l'Assemblée, le lendemain, Jean-François Mattei mit en garde contre les « risques de dérive, suscités par le désir de plus en plus affirmé d'avoir des enfants “parfaits” ». Le député socialiste Claude Évin lui répondit : « Cet arrêt a permis la reconnaissance d'un droit pour les handicapés et, à ce titre, il mérite d'être défendu. » La proposition de M. Mattei fut repoussée.