« Aucune preuve de l'effet de la DHEA sur les symptômes liés au vieillissement n'a été apportée à ce jour. Cela est vrai pour l'évaluation globale du “bien-être” mais aussi pour les autres paramètres étudiés, fonctions cognitives, effets cutanés et osseux. »

Les médicaments contre le vieillissement

La DHEA : des risques potentiels chez leurs utilisateurs

Paul Benkimoun
Journaliste au Monde

Ainsi résumées dans un courrier adressé le 10 août 2001 aux professionnels de santé par Philippe Duneton, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), les conclusions du groupe d'experts sur les effets bénéfiques allégués de ce précurseur hormonal, que d'aucuns ont présenté comme quasiment miraculeux, ont dû faire des déçus. D'autant que les experts pointaient des risques potentiels chez les utilisateurs de ce produit : stimulation de la croissance de cancers hormonodépendants (prostate, sein, utérus) et effets cardio-vasculaires négatifs possibles du fait de la baisse du HDL-cholestérol (le « bon » cholestérol). Ce qui a été vanté comme une molécule particulièrement prometteuse pour lutter contre les effets du vieillissement serait donc encore loin d'avoir fait la démonstration de son efficacité et pourrait même se révéler nocif en cas d'usage au long cours. Sans être un raz-de-marée, l'engouement pour la déhydroépiandrostérone (c'est le nom scientifique complet de la DHEA) est bien réel en France et plus encore aux États-Unis, où le produit est librement accessible grâce à son statut de complément alimentaire. Des personnalités n'ont pas caché qu'elles avaient adopté le produit, son caractère « naturel » laissant supposer qu'en tout cas cela ne pouvait pas faire de mal.

D'étranges précédents

Cette vogue n'est que la manifestation contemporaine des tentatives de faire aboutir une piste hormonale déjà exploitée au xixe siècle. Fondateur de l'endocrinologie moderne, le Français Charles Édouard Brown-Séquard annonçait le 1er juin 1889 à la Société de biologie de Paris qu'il avait mis au point un traitement rajeunissant du corps et de l'esprit et qu'il se l'était personnellement appliqué. Prenant la suite de Brown-Séquard, le physiologiste viennois Eugen Steinach proposa la vasectomie (c'est-à-dire la ligature des canaux par lesquels passe le sperme venu des testicules) comme traitement « autoplastique » du vieillissement. À défaut d'avoir des succès, la méthode eut des adeptes, et non des moindres : Sigmund Freud et le poète irlandais William Butler Yeats. Ce fut aussi le cas de la technique pratiquée dans les années 1920 à Paris par le Russe Serge Voronoff, qui consistait à greffer un testicule de singe, ou tout au moins une partie de la glande, dans le testicule d'un homme receveur. Finalement, la disponibilité d'androgènes de synthèse à partir du milieu des années 1930 fit s'éteindre de sa belle mort cette étonnante chirurgie de rajeunissement. En 1939, le prix Nobel de chimie alla à Butenandt et Ruzicka pour leur découverte de la préparation artificielle de la testostérone à partir du cholestérol.

C'est toujours à partir de ce précurseur que notre organisme, et plus précisément la petite glande surrénale (située au-dessus du rein), synthétise la déhydroépiandrostérone ou DHEA. La DHEA existe dans l'organisme sous deux formes : libre (DHEA) et conjuguée sous forme de sulfate de DHEA (DHEA-S), les deux formes étant en interconversion permanente. La mise en évidence de cette sécrétion corticosurrénale chez l'homme comme chez la femme remonte au milieu des années 1960, grâce aux travaux menés dans le laboratoire de Max-Fernand Jayle, notamment par Étienne-Émile Baulieu (Inserm U33, Le Kremlin-Bicêtre). La substance avait cependant déjà été isolée dans l'urine en 1934 (dix ans plus tard pour le DHEA-S), tandis qu'il avait fallu attendre les années 1950 pour qu'elle soit retrouvée dans le sang périphérique. Les travaux du professeur Baulieu l'amenèrent à constater que le taux de DHEA-S dans le sang s'accroît au cours de l'adolescence (l'hormone apparaît à l'âge de 7 ans) pour atteindre un maximum vers 25-30 ans ; il décroît inéluctablement pendant le reste de la vie, pour ne plus atteindre que 10 % de sa valeur à partir de la huitième ou de la neuvième décennie. Il faut toutefois souligner la très grande disparité de ce déclin selon les individus, explicable, au moins en partie, par l'hérédité. Dans la même tranche d'âge, les taux de DHEA-S varient d'un facteur de 1 à 20. Le suivi sur huit ans de personnes âgées de plus de 65 ans en Gironde, incluses dans l'étude prospective PAQUID (conduite par le professeur Jean-François Dartigues, Inserm U330), a même permis de constater que le taux de DHEA-S avait augmenté en sept ans, chez environ 30 % des sujets. Déjà constaté dans une autre étude sur des personnes âgées, le phénomène ne semble pas lié à des paramètres de santé et n'a pas trouvé d'explication.

Une étrange thérapie par les androgènes

En 1889, alors âgé de soixante-douze ans, le physiologiste français Charles Édouard Brown-Séquard fit part de l'amélioration considérable de son état à la suite de l'injection sous-cutanée d'une préparation liquide à base de testicules de chien et de cochon d'Inde. Il avait ainsi ressenti après dix injections une augmentation de ses capacités physiques et mentales, ainsi qu'une amélioration de son « jet urinaire » et de sa « puissance de défécation ». Malheureusement pour Brown-Séquard, les effets qu'il décrivait étaient réversibles et avaient disparu quatre semaines après la fin de sa série d'injections. Il n'en était pas à son coup d'essai pour tenter d'imposer la thérapie par les androgènes, les hormones masculines. En 1869, par exemple, Brown-Séquard avait eu l'idée d'injecter du sperme dans le sang de vieillards afin d'améliorer leurs performances mentales et physiques. Il passait ensuite à l'expérimentation animale en 1875, avant sa tentative infructueuse sur sa propre personne.

Une « augmentation du bien-être »

Du DHEA-S isolé en 1981 dans le cerveau du rat et de la souris
La DHEA, un complément alimentaire aux États-Unis