Pour sa seconde mise en scène lyrique, Coline Serreau, comédienne célébrée, cinéaste à succès, a signé un réjouissant Barbier de Séville. Pétillant de malice, mais aussi profond et vrai. Certes prévisible, l'actualisation du chef-d'œuvre de Rossini était périlleuse, mais la vision de Coline Serreau ne trahit en rien le propos de cet opéra-bouffe inspiré de Beaumarchais. Elle restitue Séville l'Andalouse au temps de sa splendeur de capitale de province arabe. Dans ce contexte islamique, avec burkas, turbans et barbes afghans, la cité devient symbole de la claustration de la femme, qui se libère du joug masculin constitué d'êtres falots et calculateurs. Chaque personnage est riche en humanité et touche par son caractère polymorphe. Brûlant les planches, Joyce DiDonato impose une rayonnante silhouette de Rosine ; Jeannette Fischer, voix légère mais égale et sûre, est une Berta un rien allumée qui conclut son seul air sur un rap décoiffant. Roberto Saccà campe un Almaviva étincelant, Dalibor Jenis, un Figaro peu sûr de lui. Carlos Chausson, infatigable Bartolo, et Kristinn Sigmundsson, avec son air de la Calomnie trahissant un Basilio quelque peu désabusé, dominent l'escouade masculine. La direction de Bruno Campanella est sobre et nuancée.
Un spectacle qui a fait une quasi-unanimité, Rusalka d'Antonín Dvorák. Cette ouvrage faisait son entrée en juin au répertoire de l'Opéra de Paris. Avec dix partitions lyriques à son catalogue, Dvorák compte parmi les compositeurs les plus prolifiques de l'histoire du genre. Cette part de sa création reste encore à découvrir en Europe occidentale. Le livret de Jaroslav Kvapil s'inspire à la fois de l'Undine de La Motte-Fouqué et de la Petite Sirène d'Andersen. Dvorák brosse dans Rusalka une évocation de la forêt bohémienne saisissante de poésie et de fraîcheur, gorgée de mystère, angoissante et lugubre, mais aussi bucolique, tendre, voluptueuse. Cette entrée s'est faite dans d'excellentes conditions, la production bénéficiant en Renée Fleming de la présence de la meilleure interprète actuelle du rôle-titre. Magnifique de sensualité et de force expressive, douée d'une voix aux aigus d'une limpidité absolue, elle transcende ce qu'a de contenu son interprétation dramatique du personnage.
Autre entrée d'un ouvrage tchèque au répertoire de l'Opéra de Paris, Juliette ou la Clef des songes de Bohuslav Martinu. Écrit sur un livret en langue française adapté par le compositeur lui-même d'une comédie de Georges Neveux et traduit en tchèque, toujours par le compositeur, en vue de la création à l'Opéra national de Prague en 1938, l'opéra Juliette ou la Clef des songes a été monté à Garnier dans une version française adaptée du tchèque... Idée d'autant plus contestable que cette réalisation n'est pas idéalement ajustée à la musique de Martinu, dont il a manqué plus d'un quart d'heure de musique.
C'est dans la version que Modest Moussorgski a lui-même réalisée en 1872, dans laquelle ont été en outre réintroduits des éléments de la version 1869, qu'a été présentée la nouvelle production de Boris Godounov de l'Opéra-Bastille. Ainsi, l'œuvre atteint une dimension épique et humaine particulièrement bouleversante, soulignée par l'orchestration volontairement mal dégrossie qui donne à l'ouvrage sa parure à la fois sauvage et flamboyante. Ce que sait particulièrement mettre en évidence James Conlon. Le chef américain fait sonner avec éclat les singularités harmoniques et la verdeur cuivrée de cette seconde version, mais pourtant sa vision ne surprend ni n'émeut. Le scénographe Wolfgang Gussmann et le metteur en scène femme Francesca Zambello se contentent d'une mise en place grandiloquente et primitive, mettant comme il se doit l'accent sur le peuple et les mouvements de foule. Décors et costumes de Gussmann (rouge boyard, bleu peuple, tsar argenté, blanc orthodoxe) donnent à ce spectacle un caractère froid. Excellente dans son ensemble, la distribution, à majorité russe, avec un zest de bulgare, d'allemand et d'américain, ne peut rien y faire.
Contes de fées au Châtelet
Ultime partition de Carl Maria von Weber, fruit d'une commande du Covent Garden de Londres qui l'a créé en 1826, à mi-chemin du Singspiel et du drame wagnérien en devenir, Oberon n'est pas représentatif de l'évolution de la pensée de son auteur, qui, avec Euryanthe antérieur de trois ans, a montré sa volonté de se tourner vers le drame lyrique avec récitatif continu. Écrit sur un texte en anglais, Oberon était envisagé dès le début pour être remanié en vue de représentations ultérieures dans les théâtres allemands. John Eliot Gardiner a choisi de donner à Paris l'original d'Oberon dans une version semi-scénique avec « mise en espace » réalisée par le chef britannique. Avec le comédien Roger Allam, membre de la Royal Shakespeare Company, Gardiner a conçu une approche distanciée, parodique, Allam s'avérant remarquable récitant, tenant tous les rôles parlés à la fois avec humour et légèreté, mais tendant à occulter l'onirisme de l'œuvre. Côté musique, c'est le bonheur quasi total. L'Orchestre Révolutionnaire et Romantique, avec ses cuivres naturels exceptionnels, et le somptueux Monteverdi Choir sont magnifiquement avivés par un Gardiner qui sait embraser cette partition parfois hétéroclite mais souvent remarquable.
