Au seuil de la « folie Berlioz » annoncée pour 2003, bicentenaire du plus célèbre des compositeurs français, l'année 2002 n'a pas eu de ligne de force, mais confirme, malgré la défection de plus en plus sensible des médias et des édiles politico-financiers, combien la musique est vivante.

Musique 2002, année de transition ?

Bruno Serrou
Académie Charles Cros

La fin de l'année a néanmoins été surtout placée sous le signe des aventures de l'Orchestre de Paris, qui, après une implantation réussie au Théâtre Mogador, s'est vu condamné à l'errance dans les deux mois qui ont suivi, son lieu d'accueil étant occupé par un spectacle dit « de Noël ». Conférences de presse, pétitions, menaces de démission du directeur musical Christoph Eschenbach, qui rappelaient les promesses électorales de création d'une salle de concerts digne de la vie musicale parisienne, ont fusé de toute part. À suivre dans les prochains mois...

Quarante ans de Percussions de Strasbourg

Les Percussions de Strasbourg : plus de 700 instruments

Le millésime 2002 s'est ouvert sur le quarantième anniversaire d'un ensemble, les Percussions de Strasbourg, qui a donné à la percussion ses lettres de noblesse, la rendant apte à la musique de chambre, et suscitant quantité d'œuvres nouvelles. Riche de plus de 700 instruments, panoplie qui s'élargit au fur et à mesure des tournées dans le monde, l'ensemble crée chaque année une dizaine d'œuvres nouvelles. Autre anniversaire, les vingt ans de la Péniche Opéra. Fondée en 1982 par Mireille Larroche, cet opéra-studio amarré sur les berges du canal Saint-Martin à Paris reste fidèle à son concept originel, travailler sur l'opéra, genre considéré désuet à l'époque, et lui associer le théâtre musical. Depuis lors, ce lieu a présenté 132 productions de 95 compositeurs pour 150 levers de rideaux par an, auxquels il convient d'ajouter accueils, « coups de cœur », résidences d'artistes. Ce lieu magique qui exhale une odeur de mazout se voue également à une réflexion sur la création, non seulement contemporaine mais aussi sur le répertoire et les œuvres oubliées ou jugées surannées. Aujourd'hui dirigée par un collège d'artistes, la Péniche Opéra est aussi en résidence à l'Opéra-Comique.

Mieux que Paris

L'Opéra de Nancy a inscrit à son répertoire Jenufa de Janácek.

C'est de province que sont venues les initiatives les plus originales. L'Opéra de Nantes ouvrait l'année avec les Soldats de Manfred Gurlitt, opéra inédit en France. Cinq ans après l'Opéra de Rouen, avec un Wozzeck adapté en 1923 de la même pièce de Georg Büchner que celui de Berg, Gurlitt a connu à Nantes sa seconde création française avec un titre tout aussi fameux, la pièce éponyme de Jakob Lenz dont devait aussi s'inspirer l'opéra de Bernt Aloïs Zimmermann en 1965. Quoique célèbre dans les années 1920, ce compositeur berlinois classé « dégénéré » par les nazis s'est non seulement vu interdire l'accès à toute charge publique et exécution de ses oeuvres, mais il a en outre joué de malchance en choisissant l'exil au Japon, alors allié de l'Allemagne hitlérienne, où il mourra oublié en 1972. En outre, sa musique puise dans tous les styles accessibles en son temps, ce qui le rend d'autant plus actuel, puisque les jeunes compositeurs se trouvent aujourd'hui plus ou moins dans la même situation que lui, Gurlitt utilisant les langages dont il a besoin selon ce qu'il désire exprimer.

Idée a priori saugrenue que de mettre en scène une œuvre qui n'a pas été conçue pour la scène, surtout lorsqu'elle est aussi dense et évocatrice que le Chant de la Terre de Gustav Mahler. C'est à un Japonais que l'Opéra de Rouen a confié cette adaptation qui ne présageait rien de bon. Pourtant, ici, nulle trahison. Sans doute pour partie en raison du choix de la version porté non pas sur l'original, mais sur un arrangement pour treize instruments de Schönberg, complété en 1983 par R. Riehn. Mais c'est principalement la mise en scène de Yoshi Oïda qu'il faut saluer tant elle s'avère d'une finesse et d'une intelligence remarquables, s'épanouissant dans la scénographie de Tom Schenk qui évoque un mélancolique jardin japonais où se meut un couple déchiré qui se retrouve autour de la dépouille de sa fille, dont la cérémonie funèbre est célébrée par des moines bouddhistes.