Journal de l'année Édition 1998 1998Éd. 1998

Dès les premiers jours, Me Jean-Marc Varaut plaidera l'acquittement. Sa ligne de défense ne variera plus d'un pouce : « Comment condamner un homme qui a obéi à la loi, alors que le gouvernement ne peut pas l'être ? » À travers le procès de Maurice Papon, celui de la haute fonction publique du gouvernement de Vichy se dessinera peu à peu. « J'étais un intermédiaire », un « rouage », « j'ai agi sur ordre », répétera inlassablement l'accusé. Jamais il ne remettra en cause les procédures, les ordres, les règles « édictées par d'autres ». Il se contentera de leur trouver une « diligence inopportune ». Un fonctionnaire est-il responsable pénalement de ses actes ? « Mieux valait alimenter les fichiers, répondra-t-il curieusement un jour, que laisser les gens dans l'illégalité se laisser ramasser par les Allemands. » Au fond, cet homme de quatre-vingt-sept ans, qui, malgré son état de santé précaire, se défendra pendant des mois avec la dernière énergie, cet homme hautain, cassant, attentif, ergotant sur un point de droit, une peccadille, ne fait-il pas un coupable idéal ? Ce sera aux jurés de puiser dans leur intime conviction pour le dire. Ils ne jugeront ni Klaus Barbie ni René Bousquet, mais un fonctionnaire. Un fonctionnaire ordinaire et zélé. Trop zélé ? Tard dans la journée, alors que tout le monde est parti, on rapporte que Maurice Papon s'attarde souvent dans la salle des assises, annotant ses dossiers de son écriture ronde. Verdict au printemps 1998.

J.-F. P.

L'homme

L'avant-guerre

– 3 septembre 1910 : naissance à Gretz, Seine-et-Marne.
– 1924-1929 : élève à Louis-le-Grand, Paris.
– Mai 1935 : reçu au concours de rédacteur au ministère de l'Intérieur.
– Juin 1936 – mars 1938 : attaché au cabinet du sous-secrétaire d'État à la présidence du Conseil (gouvernements Blum et Chautemps).

La guerre

– 1939-1940 : mobilisé au 2e régiment d'infanterie coloniale. Puis affecté comme sous-chef de bureau à l'administration centrale.
– Février 1941 : sous-préfet de 1e classe.
– Mai 1942 : secrétaire général de la préfecture de Bordeaux et directeur de cabinet du préfet Sabatier.
– Juillet 1942 : premières rafles effectuées par la police française sur ordre des autorités allemandes. Au total, 76 000 des 300 000 Juifs de France seront déportés entre juillet 1942 et mai 1944.
– Août 1944 : préfet des Landes et directeur de cabinet du commissaire de la République nommé par le Gouvernement provisoire.

L'après-guerre

– Octobre 1945 : chargé de mission à la sous-direction de l'Algérie au ministère de l'Intérieur.
– Janvier 1947 : préfet de la Corse.
– Octobre 1949 : préfet de Constantine.
– Octobre 1951 : secrétaire général de la préfecture de police de Paris.
– 1954-1958 : nouvelles missions à Constantine, en Algérie, au Maroc.
– Mars 1958 – janvier 1967 : préfet de police de Paris.
– Janvier 1967 : P-DG de Sud Aviation.
– Juin 1968, député UDR (droite gaulliste) du Cher. Réélu en 1973 et 1978.
– Avril 1978 – mai 1981 : ministre du Budget du 2e gouvernement Barre.

L'affaire

Mai 1981 : révélations de l'hebdomadaire le Canard enchaîné.
Décembre 1981 : un jury d'honneur estime que Maurice Papon aurait dû « démissionner de ses fonctions en juillet 1942 ». Dépôt des premières plaintes de parents de déportés.
Janvier 1983 : inculpation de Maurice Papon pour crime contre l'humanité.
Février 1987 : la Cour de cassation annule une partie de l'instruction pour vice de procédure.
Juillet 1988 : première inculpation de Maurice Papon pour crime contre l'humanité.
Octobre 1990 : nouvelle inculpation pour crime contre l'humanité.
Juin 1992 : troisième inculpation pour crime contre l'humanité.
Décembre 1995 : le parquet général de la chambre d'accusation de la cour d'assises de Bordeaux requalifie l'inculpation en « complicité de crime contre l'humanité ».
Septembre 1996 : la cour d'assises de Bordeaux est déclarée compétente pour juger Maurice Papon.
Octobre 1997 : début du procès.
13 octobre : l'accusé obtient de comparaître libre au procès.

Fin décembre : le procès s'enlise...

Au commencement, le procès était prévu pour une durée de trois mois. Celle-ci était déjà considérée comme particulièrement longue au regard des procès de personnalités jouissant pourtant d'une tout autre « stature historique » et dont la responsabilité pour crime contre l'humanité apparaissait plus nettement. Il fallut trois semaines pour juger Philippe Pétain en 1945, huit semaines pour Klaus Barbie en 1987 et six pour Paul Touvier en 1994. Pourtant, il faudra sans doute six mois pour juger Maurice Papon. Dès le mois de décembre, de suspensions en audiences interminables, le procès menaçait de s'enliser dangereusement. Ce n'est d'ailleurs qu'à cette date, soit deux mois après son ouverture, que les audiences détaillaient enfin les charges pesant sur l'accusé ! Conséquence inattendue de cette « routinisation » procédurale : une deuxième cour d'assises sera mise en place à Bordeaux au début 1998 afin déjuger la cinquantaine d'affaires criminelles qui attendent depuis l'automne.