Ce modèle se caractérisait par la volonté d'intégrer chaque citoyen à travers l'école, le service militaire et le travail, et de lui donner un sentiment d'appartenance à la nation. Il impliquait une certaine uniformisation des attitudes et des comportements, un alignement sur un système de valeurs supposé commun.

Force est de constater aujourd'hui que l'école ne joue plus son rôle traditionnel de formation à la vie et à la citoyenneté. Si le service militaire a pu être supprimé sans réaction populaire, c'est qu'il n'assumait plus sa fonction intégratrice. Il en est de même du travail, qui ne constitue même plus un droit puisqu'une fraction importante de la population en est privée. Quant à l'idée de nation, elle n'est plus au centre des préoccupations de beaucoup de Français, écartelés entre leur appartenance microsociale (famille, quartier, commune), nationale, européenne et, de plus en plus, planétaire.

Les fondements du modèle républicain ont donc cédé sous les coups de boutoir de la crise sociale, politique, culturelle qui sévit depuis une trentaine d'années. La notion de collectivité, jugée abstraite et inopérante par certains, recule devant celle d'individu. La forte revendication libertaire et identitaire oblige désormais à placer celui-ci au centre de la société.

Un nouveau modèle en gestation

L'émergence d'un système de valeurs susceptible de remplacer le modèle républicain défaillant est-elle possible ou probable ? On pourrait en douter si l'on voit la société actuelle comme une somme d'individualités sans lien ou ayant des appartenances multiples et éphémères. Pourtant, si les Français cherchent à développer leur autonomie et à accroître leur indépendance par rapport aux institutions, ils ne souhaitent pas vivre en totale autarcie. Ils veulent au contraire reformer le tissu social distendu et retrouver une convivialité disparue.

C'est pourquoi ils remplacent les filets de protection institutionnels devenus inefficaces par de nouvelles formes de solidarité. Bien sûr, celles-ci s'exercent d'abord à l'égard de l'entourage proche. Mais les Français se montrent aussi capables de solidarités plus éloignées, comme en témoigne par exemple le travail réalisé par les associations.

Les comportements sociaux tendent donc à se fédérer sur quelques grands principes, qui font office de valeurs et pourraient remplacer demain la devise de la République. Ainsi, le partage serait l'expression moderne de la fraternité ; il se mettrait en même temps au service de l'égalité. La flexibilité serait quant à elle la version réaliste de la liberté.

Tel est peut-être l'aboutissement de cette période douloureuse de plusieurs décennies, préalable peut-être nécessaire à un changement d'époque. Après avoir longtemps cherché, les Français auraient enfin trouvé la « quadrature du siècle ».

Gérard Mermet
Auteur de Francoscopie 1997 et de Tendances 1998, Larousse

35 heures : les Français sceptiques mais ouverts

Le sondage le Monde/Sofres réalisé en octobre 1997 fait apparaître un large scepticisme des Français à l'égard de la semaine des 35 heures : 69 % estiment que la réduction de la durée du travail sera sans conséquences sur l'emploi, car elle sera compensée par des gains de productivité dans les entreprises (on travaillera plus en moins de temps) ; seuls 28 % pensent que les 35 heures permettront une augmentation des embauches.

Près de deux citoyens sur trois (61 %) préfèrent que des négociations soient faites entreprise par entreprise ; seuls 25 % sont favorables à une réduction décidée sur le plan national et imposée à tous. La flexibilité apparaît aujourd'hui plus souhaitable que la rigidité.