Journal de l'année Édition 1998 1998Éd. 1998

Avant leur départ, soucieux de planter quelques banderilles démocratiques dans le flanc de la puissance appelée à leur succéder, les Britanniques ont fait adopter par le Parlement différents textes législatifs destinés à la protection des travailleurs. Il s'agissait de lois portant sur la notion de négociation collective des salaires, instituant la protection des droits syndicaux ou réglementant l'utilisation de fonds financiers collectifs à des fins politiques. Deux semaines après le retour à la Chine, les nouvelles autorités ont indiqué clairement qu'elles n'entendaient pas se laisser lier les mains par une législation sociale susceptible de nuire à la « compétitivité » de Hongkong. Elles ont suspendu les trois textes portant sur la législation du travail. Il apparaît ainsi que l'alliance conclue entre les milieux d'affaires appelés à prendre la relève des Britanniques et Pékin ne saurait être perturbée par quelque legs que ce soit de l'ultime et paradoxal épisode « colonial-démocratique » de l'histoire de l'ancienne possession.

Dans l'esprit des nouveaux maîtres, Hongkong ne doit en aucun cas devenir un foyer de contestation sociale ou politique, susceptible d'« infecter » les territoires proches, vecteurs de l'essor économique de la Chine continentale.

Au reste, les nouvelles autorités s'efforcent d'entretenir parmi la population davantage le sentiment de la continuité que celui de l'ordre nouveau : les 4 000 soldats de l'armée populaire de libération casernes dans le territoire ne circulent pas en ville, et l'effectif des troupes stationnées de l'autre côté de l'ex-frontière et appelées à intervenir en cas de troubles demeure secret. En ville, les nombreuses petites manifestations habituelles (organisées par les démocrates, les militants syndicaux...) sont autorisées. Les médias qui, certes, ont appris à se discipliner lors des derniers temps de l'occupation britannique ne subissent pas de pressions directes. Enfin, les Églises chrétiennes, très présentes à Hongkong (on estime à un demi million de personnes le nombre de leurs fidèles sur le territoire), n'ont pas vu jusqu'alors leur liberté d'expression menacée : la Fédération luthérienne mondiale a tenu, à la fin de juillet 1997, sa neuvième assemblée mondiale sans que cela n'ait suscité de tensions avec la nouvelle Administration. Aussi longtemps que ne sont pas abordées dans l'espace public les questions sensibles de la répression au Tibet, du massacre de la place Tian'anmen ou de la souveraineté de Taïwan, les autorités semblent décidées à laisser persister une certaine liberté de ton. Dès avant le 1er juillet, le nouvel administrateur Tung Chee-hwa ne s'était-il pas engagé « à respecter les droits et les libertés des Hongkongais », et, de surcroît, à organiser des élections démocratiques pour le renouvellement du Parlement local dès mai 1998 ?

Plus discrètement, donc, ce sont d'autres signes, faisant référence au passé, qui sont venus rappeler qu'une page s'est tournée : pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la date anniversaire de la capitulation japonaise n'a pas été commémorée à Hongkong, au mois d'août. On peut y voir, de la part des nouvelles autorités, une attention à l'endroit du puissant voisin japonais qui a adopté une attitude compréhensive à l'égard de Pékin à propos du dossier honkongais, et qui est le premier investisseur étranger dans l'ancienne colonie. Dans le même sens, c'est avec un certain faste qu'a été célébré à Hongkong, le 1er octobre 1997, le 48e anniversaire de la fondation de l'État communiste chinois : on a pu y voir Tung Chee-hwa, radieux, passer en revue des rangées d'étudiants agitant des drapeaux de la Chine populaire, tandis que l'orchestre de la police exécutait la Marche des volontaires.

Une population peu concernée

La population de la colonie a accueilli avec une grande prudence et une surprenante froideur le retour du territoire dans le giron de la Chine. Un sondage, réalisé le 30 juin 1997 par le centre de recherches sociales de l'université de Hongkong, faisait ressortir que 59,1 % des 546 personnes interrogées se déclaraient « neutres » vis-à-vis du retour du territoire sous souveraineté chinoise, tandis que 29,1 % disaient éprouver un sentiment positif et seulement 4,7 %, des sentiments négatifs. Un autre sondage faisait apparaître que le Parlement, élu par la population en 1995, jouissait d'un beaucoup plus grand prestige que l'Assemblée désignée par Pékin pour lui succéder : 62,5 % d'opinions favorables contre 19 %. Enfin, la cote de popularité du gouverneur sortant, Chris Patten (54 %), dépassait celle de son successeur Tung-Chee-hwa (47 %), magnat du commerce maritime intronisé par le gouvernement chinois. Interrogée par un journaliste la veille du rattachement, une caissière de supermarché résumait sans doute le sentiment dominant parmi les petites gens : « Pour moi, c'est un dimanche comme les autres. Pour célébrer ou déplorer quoi que ce soit, il faudrait avoir eu son mot à dire ! »

Sceptiques et optimistes

Qu'en est-il désormais de l'avenir politique et économique du territoire ? Pour certains, le retour à la Chine signifie l'érosion rapide de la situation d'exception qui rendit possible le formidable essor économique de Hongkong. L'arrivée d'un nombre toujours croissant de Chinois de l'intérieur à Hongkong (on spécule sur le chiffre de 50 000 par an) signifierait le recul de la langue anglaise, l'affaiblissement du statut de ville internationale de Hongkong et, à terme, l'effacement de ce qui la distingue d'une métropole en expansion comme Shanghai. La Région administrative spéciale (RAS) perdrait progressivement son statut de point de passage obligé pour l'exportation des marchandises chinoises et de lieu de transit pour les investissements étrangers en Chine. « La rapidité du déclin de Hongkong pourrait surprendre tout le monde », prédit un banquier occidental. Certains indices tendent à accréditer cette thèse : dès les lendemains de la rétrocession, le tourisme local s'est effondré, les transactions immobilières ont chuté de 40 %, l'activité de la Bourse s'est ralentie ; signe avant-coureur d'une dépression durable ou simple passage à vide lié à la transition ?