En dépit de l'opposition du courant conservateur populiste incarné par Pat Buchanan, Robert Dole n'a pas de difficultés excessives à l'emporter sur ses concurrents pour l'investiture du Parti républicain. Son manque de charisme est en partie compensé par le choix de son colistier : Jack Kemp, un républicain « atypique » qui bénéficie d'une bonne popularité. Mais la montée, au sein du Parti républicain, d'un nouveau conservatisme très sectaire, sur lequel M. Dole n'a manifestement pas de prise, ne peut qu'inquiéter une partie de l'électorat modéré.

D'un côté comme de l'autre, il s'agit de rallier la classe moyenne toujours nostalgique de la prospérité d'antan. La promesse d'allégements fiscaux ne suffit pas à la convaincre. D'autant que Robert Dole se trouve, dans ce domaine, défié par le radicalisme de Ross Perot, lequel, en août, s'engage dans la campagne présidentielle à la tête de son parti de la Réforme, sans parvenir à y faire une percée comparable à celle de 1992.

C'est avec une habileté remarquable que Bill Clinton échappe à toutes les embûches. S'il embarrasse le président (en mai, trois des anciens associés de M. Clinton sont reconnus coupables de fraude, dans le cadre d'un investissement immobilier malheureux auquel avait participé le président, à l'époque gouverneur de l'Arkansas), le scandale Whitewater ne débouche finalement sur rien. En juin, une affaire de fiches sur les responsables républicains que, par erreur, le FBI a communiquées à la Maison-Blanche ne réussit pas davantage à déstabiliser le président, pas plus que la démission (pour une affaire de mœurs) de son conseiller, Dick Morris, ne freine sa marche vers l'investiture démocrate. Le résultat des élections (environ 50 % des voix pour Bill Clinton) assure une position confortable au président, mais ne modifie pas la donne fondamentale de la politique américaine : un président démocrate face à un Congrès républicain. En effet, le Grand Old Party profite du scrutin pour renforcer sa position au Sénat et maintenir la majorité dont il dispose à la Chambre des représentants.

Les orientations de la politique étrangère

L'utilisation par M. Clinton de la politique étrangère à des fins électorales montre cette année ses limites. Le soutien à Gerry Adams, président du mouvement républicain d'Irlande du Nord Sinn Féin, et le voyage triomphal du président américain en Irlande au mois de décembre 1995 ont sans doute rallié la communauté irlandaise américaine à la candidature démocrate, mais ils n'ont pas permis à la paix de progresser. L'enlisement du processus de paix au Moyen-Orient laisse le même goût amer à la communauté juive des États-Unis. Ainsi, si elle est plus active que durant les deux premières années du mandat de Bill Clinton, l'Administration renonce aux initiatives spectaculaires et trouve ainsi l'équilibre exigé par les citoyens des États-Unis, qui, tout en donnant la priorité aux problèmes intérieurs, n'entendent pas pour autant renoncer à l'exercice de la prépondérance américaine dans les grandes affaires mondiales. En témoigne, en fin d'année, la virulente campagne contre la réélection au secrétariat général des Nations unies de Boutros Boutros-Ghali, accusé par les États-Unis de porter la responsabilité des échecs de l'organisation en Somalie et en Bosnie. L'opposition brutale et sectaire du républicain Jessie Helms, président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, permet en même temps au président de se donner une image de dirigeant ouvert à la négociation internationale. Mais, cela n'empêche pas l'État fédéral de réduire fortement ses dépenses extérieures en comprimant ses représentations diplomatiques, ses aides aux pays étrangers et sa contribution (dont il s'acquitte, au demeurant, fort mal) au budget général des Nations unies.

L'Europe et l'OTAN

L'émergence de l'Union européenne, issue du traité de Maastricht (1992), rendait nécessaire la révision de l'accord conclu peu de temps auparavant (juin 1990) entre la Communauté et les États-Unis. Signé à Madrid, en décembre 1995, le nouvel agenda transatlantique a pour but de redéfinir les domaines de coopération entre les États-Unis et l'UE. Ce document – jugé majeur pour l'avenir des relations euro-américaines – ne suscite pourtant que peu d'intérêt. Il est considéré par les Américains, sceptiques et prudents, comme un jalon sur une route longue et sinueuse, où tout dépend de la future évolution politique de l'Union européenne. Cette approche lente et mesurée caractérise également la position des États-Unis dans le processus de transformation de l'Alliance atlantique. Tout en proclamant que l'OTAN est plus indispensable que jamais, l'Administration américaine rencontre aujourd'hui de nombreuses difficultés pour en faire une démonstration pleinement convaincante. Trois problèmes dominent l'année. En Bosnie, l'annonce par les États-Unis de leur retrait en fin d'année place l'OTAN dans une situation délicate, et ce d'autant plus que l'Administration américaine attend les élections de novembre pour décider de la suite à donner au mandat de l'IFOR (Implementation Force), initialement fixé pour une seule année. La participation française à l'OTAN dépendant encore d'une redéfinition des missions de l'Alliance ainsi que d'une transformation des chaînes de commandement permettant aux Européens d'employer les moyens de l'organisation sans participation directe des États-Unis, les tensions restent vives entre partisans et opposants à l'européanisation de l'OTAN. La création d'un commandement en chef adjoint, l'attribution des commandements régionaux qui reviendraient à des officiers européens font l'objet d'âpres tractations. Enfin, reste la question de l'élargissement de l'Alliance atlantique aux pays de l'Est européen. Les États-Unis s'y sont officiellement engagés, mais les difficultés sont encore nombreuses. La clé de la question réside évidemment dans l'évolution des relations avec la Russie.

Relations avec la Russie et la Chine

En Russie, la réélection de Boris Eltsine, le déclin des ultranationalistes et des communistes confortent l'analyse de Stobe Talbott, secrétaire d'État adjoint spécialement chargé des relations avec la Russie. La montée de Viktor Tchernomyrdine ne peut que satisfaire la Maison-Blanche, qui a institutionnalisé les entretiens entre le Premier ministre russe et le vice-président Al Gore. Reste que la personnalité vacillante de Boris Eltsine laisse entrevoir un avenir convulsif et des rivalités de palais parmi lesquelles l'Administration américaine aura bien du mal à dégager des tendances claires pour des options définies. Le suivi au jour le jour de la scène russe constitue pour l'instant l'essentiel de l'attitude des Américains, qui maintiennent cependant quelques objectifs à long terme. De tous, le premier est de « faire de la Russie un État inoffensif ». Le 1er juin 1996, sous l'œil attentif du secrétaire américain à la Défense William Perry, qui, depuis deux ans, avait multiplié les voyages sur place, la dernière charge nucléaire stratégique quitte l'Ukraine.