Tandis que les grands studios poursuivent l'inutile replâtrage des vieilles icônes du fantastique (voir l'indigeste Frankenstein, de Kenneth Branagh), des outsiders comme John Carpenter (l'Antre de la folie, le Village des damnés) et Wes Craven (Freddy sort de la nuit, réflexion remarquable, partie de l'intérieur du genre, sur le modelage d'un mythe cinématographique) continuent à travailler sur les notions de pouvoir, de perte de repère (le Village des damnés) et de création, caractéristiques du nouveau cinéma fantastique local.

Auteurs produits dans le système, Tim Burton et Spike Lee réalisent toujours des œuvres intéressantes, mais qui ne surprennent plus comme à leurs débuts. Burton a trouvé en la personne d'Ed Wood, cinéaste de séries Z des années 50, un modèle réel aux personnages fantasmagoriques de ses précédents films (Pee Wee Big Adventure, 1986 ; Edward aux mains d'argent, 1990). Malheureusement, le traitement respectueux appliqué à l'artisan (Burton, comme Joe Dante ou John Carpenter, s'est nourri, dans sa jeunesse, de films à deux sous) fait d'Ed Wood un biopic de plus, sauvé par une superbe photo en noir et blanc qui restitue bien l'époque.

Absent depuis Malcolm X (1993) des écrans français, Spike Lee revient avec deux films : Crooklyn (1994) et Clockers (1995). Ceux qui apprécient le style intimiste et lyrique du cinéaste tel qu'on l'appréhende au début de sa carrière (Nola Darling n'en fait qu'à sa tête, 1986, et Do the Right Thing, 1989) seront séduits par Crooklyn, chronique attachante d'une famille noire américaine au début des années 70, proche de celle de l'auteur. En revanche, Clockers, écrit par le spécialiste de scénarios policiers Richard Price, et destiné à Scorsese à l'origine, est un film hybride. Visiblement, Spike Lee n'est pas à l'aise dans le traitement de cette aventure située dans le milieu des trafiquants de drogue. C'est aux États-Unis, enfin, que le regretté Louis Malle a tourné son dernier film, Vanya 42e rue, une variation sensible autour de l'univers de Tchekhov.

Ailleurs

En dehors de l'aire franco-américaine, l'absence de règles règne dans la distribution de films venus des autres zones géographiques. Peut-être parce que les grandes « écoles » nationales (le cinéma nôvo brésilien, celui du printemps de Prague...) ont vécu. Seule l'Angleterre a connu, en 1995, une forte diffusion de films en France, parmi lesquels figuraient les six œuvres présentées à Cannes : la Folie du roi George, de Nicholas Hytner (prix d'interprétation féminine pour Helen Mirren), Carrington, de Christopher Hampton (prix d'interprétation masculine pour Jonathan Price et prix spécial du jury), la Bible de néon, de Terence Davies, Jefferson à Paris, de James Ivory, Rangoon, de John Boorman et Land and Freedom, de Ken Loach. Seul ce dernier film, oublié par le jury cannois (la guerre d'Espagne intéresse-t-elle encore quelqu'un ?), possédait de réelles qualités cinématographiques. Les autres œuvres penchaient entre un académisme d'un autre temps (Carrington, Jefferson à Paris) et un paternalisme contestable (sans la courageuse héroïne de Rangoon, les Birmans, en butte à la guerre civile, ne sauraient comment agir !). Ce choix de films fait le point sur les dernières créations d'auteurs reconnus (Ivory, Loach, Davis, Boorman) en même temps qu'il promeut un type d'article que les Britanniques affectionnent : le film à costumes. On a pu voir, dans cette même logique, le dernier opus de Kenneth Branagh de retour des États-Unis, Au beau milieu de l'hiver, variation réussie sur le monde du théâtre, qu'il affectionne. La sensibilisation à l'animation anglaise, entreprise par divers festivals, a débouché sur la distribution des Aventures de Tom Pouce, de Dave Borthwick, qui mélange personnages réels et animés avec une maestria, qui faisait défaut à Caro et Jeunet.

Pour les autres pays, le nom de l'auteur peut offrir une garantie suffisante à la promotion d'un film : l'Émigré, de l'Égyptien Youssef Chahine ; Ana, du Russe Nikita Mikhalkov ; Au travers des oliviers, de l'Iranien Abbas Kiarostami ; la Fleur de mon secret, de l'Espagnol Pedro Almodovar. Ces films d'auteur, de bonne tenue, traitent de réalités culturelles ou sociales sur un mode majeur : on a moins de chance de voir une comédie légère russe qu'américaine.